La mise au point de vaccins sûrs et efficaces est un point clef de la bataille contre la pandémie de Covid-19 qui a tué plus de 120 000 personnes, en n’infectant qu’une faible portion de l’humanité. Pourquoi les vaccins sont-ils l’enjeu central de la lutte anticoronavirus ? Quels sont les projets en cours ? Quelles sont leurs difficultés ? À quelles échéances peut-on espérer les premières campagnes de vaccination ? Épidémiologistes, virologues, experts en santé publique s’accordent à dire que seules des campagnes de vaccination massives parviendraient à stopper efficacement l’épidémie de Covid-19.
« La mise au point et la distribution d’un vaccin sûr et efficace vont être nécessaires pour interrompre totalement la transmission », souligne le patron de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus. Les mesures de confinement et distanciations sociales sont coûteuses, difficiles à tenir sur la durée pour être efficaces à moyen ou long terme. Les traitements s’avèrent pour l’heure inefficaces à sauver des formes sévères de Covid-19 caractérisées par des pneumonies et des emballements mortels du système immunitaire.
Une vaccination massive et réussie permettrait d’immuniser un pourcentage élevé de la population, ce qui empêcherait le virus SARS-Cov-2 de circuler et stopperait l’épidémie. Cela a déjà été le cas par le passé, sur une période bien plus longue, pour la variole, autre maladie virale sans traitement efficace, rayée de la carte des maladies depuis 1980 grâce aux vaccins. Le séquençage complet du génome du nouveau coronavirus à la mi-janvier 2020, puis la dissémination mondiale de la maladie, a mis en ébullition tout ce que la planète compte en laboratoires de recherche sur les vaccins. Les grands noms de la pharmacie et une myriade de laboratoires de biotechnologies sont sur les rangs : plus de 100 projets de vaccins seraient actuellement en développement, selon François Balloux, chercheur à University College de Londres.
« On n’a pas encore bien compris le rôle joué par les anticorps »
L’Agence européenne du médicament (EMA) indique être en relation avec les responsables d’une « douzaine » de projets de vaccins dont deux sont déjà en phase d’essais cliniques. En France, l’Institut Pasteur mène à lui seul trois projets de « candidats vaccins » tandis que la Chine conduit de front des essais cliniques pour trois autres projets de vaccins. Les géants de l’industrie pharmaceutique, le français Sanofi (France) et le britannique GSK espèrent proposer ensemble un vaccin d’ici l’an prochain. Leur concurrent américain Johnson & Johnson mise sur sa propre formule vaccinale début 2021.
Première difficulté : le virus ciblé. « Jusqu’à présent, personne n’a jamais fait un vaccin efficace contre un coronavirus humain », souligne l’ex-directeur de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), le virologue Christian Bréchot. « Les cimetières sont pleins de candidats vaccins qui n’ont jamais marché », confie au journal britannique The Guardian Jonathan Heeney, chercheur canadien à la tête de la biotech DIOSynVax, sur les rangs pour élaborer un vaccin anti-Covid. Une difficulté pour mettre au point un vaccin sûr tient à une caractéristique de la maladie dans ses cas graves : la sur-réaction de la réponse immunitaire avec ses « orages de cytokine », production trop abondante de substances inflammatoires pouvant tuer. Comment stimuler avec un vaccin la réaction antivirale sans conduire à un emballement dangereux de la machinerie immunitaire ? « Dans ce phénomène, on n’a pas encore bien compris le rôle joué par les anticorps », reconnaît Frédéric Tangy, spécialiste des vaccins à l’Institut Pasteur. « Dans certaines conditions, les anticorps peuvent aggraver la maladie », précise-t-il. Cela a été observé avec certains vaccins comme celui de Sanofi contre la dengue ou un vaccin contre la rougeole dans les années 1960.
Un virus qui « mute beaucoup » et la difficulté de recruter des sujets-cobbayes
Difficulté supplémentaire : les coronavirus sont des virus à ARN qui ont la particularité de « muter beaucoup », selon Frédéric Tangy. Ceci rend plus ardu la mise au point d’un vaccin ciblé. C’est pourquoi Pasteur travaille aussi sur un « vaccin universel contre les coronavirus », dirigé contre des protéines communes à cette famille de virus, explique-t-il. Un autre type de difficultés concerne la temporalité : il est plus facile et efficace de mettre au point un vaccin et de le diffuser avant une vague épidémique. En pleine épidémie, recruter des sujets-cobayes est plus délicat car il faut être sûr qu’ils n’ont pas ou ne vont pas être infectés, ce qui fausserait ou compliquerait l’interprétation des résultats.
Après le passage de la vague épidémique, il devient en revanche plus difficile de déterminer l’efficacité réelle du vaccin si le virus ne circule plus ou peu dans la population. « Il y a de bonnes chances pour que ça marche (…). Le succès à l’automne est possible si tout va à la perfection », confie au journal britannique The Times, la spécialiste britannique des vaccins Sarah Gilbert, professeur à l’université d’Oxford et déjà engagée avec sa biotech Vaccitech sur des essais. Il est logique de vouloir lancer un vaccin dès l’automne 2020 avant une éventuelle vague hivernale de Covid-19 dans l’hémisphère nord. À Pasteur où des premiers tests démarreront en juillet, Frédéric Tangy estime qu’un vaccin pourrait arriver « à la fin de l’automne ou au début de l’hiver ». Prudente, l’EMA indique : « Le calendrier pour le développement de vaccins est difficile à prédire. Se basant sur l’expérience passée, cela pourrait prendre au moins un an avant qu’un vaccin ne soit prêt à être approuvé et disponible en quantité suffisante pour permettre un usage étendu. »
LQ/AFP