Le président ivoirien, Alassane Ouattara, 78 ans, a été réélu pour un troisième mandat controversé sur le score fleuve de 94,27% des voix au premier tour d’un scrutin boycotté par l’opposition, qui veut former un « gouvernement de transition » et s’est vue accuser mardi de « complot » contre l’État par les autorités.
En début d’après-midi à Abidjan, la résidence du chef de l’opposition Henri Konan Bédié a été encerclé par les forces de l’ordre. Elles ont tiré des gaz lacrymogènes pour disperser les journalistes et les militants et empêcher la tenue d’une conférence de presse que devait donner l’opposition à la résidence de l’ancien président.
Les résultats provisoires de la présidentielle de samedi ont été proclamés par la Commission électorale indépendante (CEI) mardi à l’aube.
La veille, l’opposition, qui juge ce nouveau mandat « inconstitutionnel » et ne reconnaît plus Ouattara comme président, avait annoncé qu’elle avait créé un « Conseil national de transition » pour former un « gouvernement de transition ».
Une prise de position qualifiée mardi par le ministre de la Justice Sansan Kambile de « complot contre l’autorité de l’État ». « Le gouvernement a saisi le procureur de la République d’Abidjan afin que soient traduits devant les tribunaux les auteurs et les complices de ces infractions », a-t-il ajouté lors d’une conférence de presse.
Les Ivoiriens, eux, craignent de nouvelles violences, alors qu’une quarantaine de personnes ont été tuées depuis le mois d’août, dont au moins 9 depuis le vote samedi dans des troubles liés à la candidature du président Ouattara.
Mardi, l’Union européenne a « pris note de l’annonce des résultats provisoires » et exprimé « sa vive préoccupation concernant les tensions, les provocations et les incitations à la haine qui ont prévalu et continuent de subsister dans le pays autour de ce scrutin ».
Selon les chiffres de la CEI, le taux de participation, un enjeu important de ce scrutin du fait du boycott de l’opposition, est de 53,90%.
« Pour nos enfants »
Des militants de l’opposition, qui avait appelé à la « désobéissance civile », ayant saccagé ou bloqué environ 5 000 bureaux de vote, 17 601 bureaux des 22 381 bureaux ont pu ouvrir, selon la CEI.
Le candidat indépendant Kouadio Konan Bertin est deuxième avec 1,99% des voix, devant les deux autres candidats qui avaient appelé au boycott, l’ancien président Henri Konan Bédié (1,66%) et l’ex-Premier ministre Pascal Affi N’Guessan (0,99%).
La CEI a trois jours pour transmettre ces résultats au Conseil constitutionnel, qui a sept jours pour les valider ou non.
Élu en 2010, réélu en 2015, Alassane Ouattara avait annoncé en mars qu’il renonçait à une nouvelle candidature, avant de changer d’avis en août, à la suite du décès de son dauphin désigné, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly.
La loi fondamentale ivoirienne prévoit un maximum de deux mandats, mais le Conseil constitutionnel a estimé qu’avec la nouvelle Constitution adoptée en 2016, le compteur des mandats présidentiels a été remis à zéro. Ce que l’opposition conteste.
À Adjamé, quartier populaire d’Abidjan, Hamed Dioma, ferrailleur, était « très, très heureux ». « ADO (NDLR : Alassane Dramane Ouattara) a bien travaillé pour le pays. Il faut qu’il continue. Pas pour nous, pour nos enfants. L’opposition a échoué. Ils ont déposé leurs candidatures et après ils ont refusé d’aller voter. Ils savaient qu’ils allaient perdre. »
« On veut que ça s’arrête »
Le ton était tout autre à Daoukro, le fief de Bédié, qui va présider le « Conseil national de transition ». « Ces résultats sont de la mascarade. Il n’y a pas eu d’élection présidentielle en Côte d’Ivoire. Nous allons poursuive la désobéissance civile jusqu’à ce que Ouattara quitte le pouvoir », lance Firmin, un jeune sur un barrage érigé depuis samedi.
À Abidjan, une coiffeuse qui n’a pas voté indiquait : « On est fatigué de la politique là ! Tout ce qu’on veut c’est que ça s’arrête. »
Lundi soir, des détonations provoquées par des individus non identifiés, qui n’ont fait aucun blessé, ont résonné devant les domiciles à Abidjan de quatre leaders de l’opposition.
« Nous étions chez le président Bédié. Nous avons entendu huit coups. C’était très fort. Les vitres ont tremblé », a déclaré Maurice Kakou Guikahué, numéro deux du principal mouvement d’opposition.
Si la mission d’observation de l’Union africaine estime que « l’élection s’est déroulée de manière globalement satisfaisante », le Centre Carter, fondation créée par l’ancien président des États-Unis et prix Nobel de la paix Jimmy Carter, est beaucoup plus critique : « Le contexte politique et sécuritaire n’a pas permis d’organiser une élection compétitive et crédible. »
Des milliers d’Ivoiriens avaient quitté les grandes villes, anticipant des troubles, dix ans après la crise qui avait suivi la présidentielle de 2010, faisant 3.000 morts, à la suite du refus du président Laurent Gbagbo (au pouvoir depuis 2000) de reconnaître sa défaite face à Alasssane Ouattara.
Ces évènements en Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, font craindre une nouvelle crise dans une région éprouvée par des attaques jihadistes au Sahel, et secouée récemment par un putsch au Mali, une élection contestée en Guinée et un mouvement de contestation parmi la jeunesse au Nigeria.
LQ/AFP