La transparence, oui, mais jusqu’où ? Des voix s’élèvent en Corée du Sud pour dénoncer de graves atteintes à la vie privée au nom de la lutte contre le coronavirus, qui a eu pour conséquence de révéler des liaisons extra-conjugales ou des affiliations religieuses supposées rester secrètes.
La Corée du Sud est un des pays les plus touchés par l’épidémie après la Chine, avec plus de 7 500 personnes infectées, mais depuis plusieurs jours le nombre de nouveaux cas recule. Les autorités attribuent ces résultats à une réponse des pouvoirs publics unique au monde, avec plus de 210 000 personnes testées après l’explosion de l’épidémie.
Partout dans le pays, les autorités adressent des alertes sur les téléphones de ceux qui vivent ou travaillent dans des quartiers où de nouveaux cas sont confirmés. Anxiogène selon certains, le message précise les lieux dans les alentours qui ont été fréquentés par les malades avant qu’ils ne soient diagnostiqués, ainsi que leurs liens avec les autres personnes contaminées. Les sites internet de certaines mairies vont encore plus loin, en dévoilant l’emploi du temps des personnes contaminées, parfois à la minute près, ainsi que leur adresse ou le nom de leur employeur, ce qui peut les rendre très facilement identifiables.
« Tourné en ridicule ou lynché en ligne »
En Corée du Sud, le « doxing », cette pratique consistant à dévoiler des informations privées sur internet, était un fléau bien avant l’apparition du nouveau coronavirus. Les conséquences sont parfois si déplaisantes que la Commission sud-coréenne des droits de l’Homme range cette pratique parmi les « violations des droits de l’Homme ». « Nous ne pouvons nous empêcher de nous inquiéter de la situation où des patients confirmés aient en plus à souffrir d’un autre préjudice, celui d’être critiqué, tourné en ridicule ou lynché en ligne », a-t-elle dit dans un communiqué.
Deux personnes atteintes du virus ont été accusées d’avoir une liaison extra-conjugale, sur la base des similarités dans leurs emplois du temps. Une employée de Samsung Electronics testée positive a affirmé avoir été la cible de messages haineux après qu’un maire eut révélé que son compagnon était membre de l’Église Shincheonji de Jésus, le mouvement religieux accusé par certains d’être une secte et qui est lié à plus de la moitié des cas de contamination. « C’est très dur psychologiquement, beaucoup plus que physiquement », a écrit cette malade sur Facebook. « Je suis tellement désolée pour ma famille et mes amis. »
Déballages et stigmatisation
C’est tout le paradoxe d’une campagne de transparence au travers d’alertes qui visent à donner le sentiment que le gouvernement gère, mais qui peut avoir comme conséquence involontaire « la stigmatisation de zones présentées comme infectées ou dangereuses ». Certaines entreprises, identifiées comme ayant reçu la visite de personnes contaminées, ont également eu à souffrir de cette situation. « C’est très compliqué, nous n’avons quasiment plus aucun client depuis qu’une alerte a été lancée, incluant notre adresse », a déploré un restaurateur de Séoul. « Je comprends que ces alertes soient nécessaires, mais en même temps, mon entreprise est quasi ruinée. »
La Corée du Sud a un système de santé de pointe, une presse libre et une très grande culture de la transparence, mais cette vertu mise en avant par les autorités se retourne parfois même contre les fonctionnaires du ministère de la Santé. La mairie de Sejong, où est implanté le ministère, a ainsi révélé qu’une fonctionnaire avait assisté à un cours de gym donné par un moniteur qui était contaminé, et dévoilé l’intégralité de l’emploi du temps de cette femme. Un déluge s’est abattu sur elle en ligne, la plupart des internautes la qualifiant d' »irresponsable ». D’autres se sont pris à commenter ses pauses déjeuner, trop longues aux yeux de certains qui l’accusant de tirer au flanc. Le gouvernement a dû intervenir pour la défendre, en affirmant qu’elle était allée à la gym avant qu’il ne conseille d’éviter les lieux de rassemblement.
LQ/AFP