À l’heure où de nombreux pays commencent à assouplir les mesures de confinement décidées pour lutter contre le coronavirus, la crainte dans tous les esprits est que les contaminations repartent de plus belle, provoquant une « deuxième vague » épidémique.
« Le risque d’une seconde vague, qui viendrait frapper un tissu hospitalier fragilisé, qui imposerait un reconfinement, qui ruinerait les efforts et les sacrifices consentis (…), est un risque sérieux », a ainsi averti mardi le Premier ministre français, Édouard Philippe, lors de la présentation de son plan pour déparalyser progressivement le pays à partir du 11 mai.
À l’instar de la France, plusieurs pays européens, une dizaine d’États des États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont amorcé une sortie du confinement, encouragés par un ralentissement des contaminations et des décès. Mais c’est une « ligne de crête délicate », selon les mots d’Édouard Philippe : soulager les populations cloîtrées et faire redémarrer l’économie sans relancer une pandémie qui a déjà tué plus de 240 000 personnes.
Car, effet pervers paradoxal du confinement : s’il a évité une explosion du nombre de personnes infectées, prévenant la saturation des hôpitaux, seule une faible partie de la population a été en contact avec le virus et est donc potentiellement immunisée. L’Institut Pasteur évalue ainsi à moins de 6 % la proportion de Français qui auront été infectés le 11 mai. Même dans les endroits les plus touchés, ce taux plafonne autour de 25 %, selon les premières enquêtes sur la présence d’anticorps dans la population menées à New York (21,2 %) ou autour d’un lycée de Crépy-en-Valois, dans l’Oise, un des premiers foyers de l’épidémie en France (26 %).
Une seconde vague plus puissante ?
En l’absence de traitement et de vaccin, la reprise des activités et des déplacements se traduira donc inévitablement par une réaugmentation du nombre d’infections. Mais avec quelle ampleur et à quelle échéance ? « Pour revoir le virus circuler dans la population française, il va falloir attendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois », a assuré la virologue Anne Goffard sur la radio France Inter. Plusieurs études de modélisation dans différents pays concluent à une deuxième vague épidémique « très probable » et « au plus tôt fin août », mais ce pourrait être aussi « plus tard dans l’automne, en octobre ou en novembre », ajoute-t-elle.
Parmi les pessimistes, aux États-Unis, un haut responsable de la santé publique, Robert Redfield, dit redouter pour l’hiver prochain un épisode « encore plus difficile que celui que nous venons de vivre », en raison d’une coïncidence avec la grippe saisonnière. C’est aussi l’avis du virologue Christian Drosten, conseiller du gouvernement allemand, qui a mis en garde contre une deuxième vague plus puissante que la première.
Parmi les optimistes, Pierachille Santus, professeur de pneumologie à Milan, pronostique une deuxième vague « probablement moins grande que la première » grâce au maintien de mesures de contrôle, avec environ 30 % » de patients en moins et des malades « dans un état moins grave ». D’autres suggèrent aussi que le nouveau coronavirus, comme d’autres virus respiratoires, pourrait être sensible aux facteurs météorologiques. « Il y a probablement un lien avec la chaleur et l’humidité. On s’attend à avoir une période assez sereine pour l’été », espérait ainsi lundi le président du conseil scientifique français Jean-François Delfraissy, tout en craignant une « récidive » à l’automne.
Si plusieurs expériences en laboratoire « indiquent une réduction de la survie de Sars-Cov-2 à des températures élevées », rien ne garantit que cet effet se retrouve dans le monde réel, a toutefois averti un groupe d’experts consultés par les Académies américaines des sciences. Mais d’autres leviers peuvent être actionnés pour garder le virus sous contrôle, principalement la poursuite des « gestes barrière » (distance physique, lavage des mains), complétés par le port d’un masque.
Angela Merkel appelle à la prudence
La sortie du confinement en France sans politique forte de gestes barrières pourrait se traduire par un bilan total de 200 000 morts, contre environ 165 000 décès avec la distanciation physique et 8 000 en y ajoutant le port du masque, selon une modélisation réalisée par la société Public Health Expertise. Même dans ce cas, les services hospitaliers seraient saturés, à moins de prolonger l’isolement de 75 % des populations fragiles, une mesure écartée en France à ce stade, souligne l’étude, en attente de publication. Autre levier essentiel : casse les casser les chaines de transmission en contrôlant au plus près les foyers qui émergent.
D’où l’importance d' »avoir des capacités de dépistage maximales », d’isoler les personnes positives et de pouvoir « faire une enquête d’entourage » chez ces personnes, souligne Didier Pittet, chef du service de prévention et contrôle de l’infection des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). À ces conditions, « nous aurions une succession de petites vaguelettes », a-t-il expliqué.
Pour atteindre cet objectif, les autorités disposent d’un thermomètre : le taux de reproduction du virus, qui mesure le nombre de nouvelles personnes contaminées par chaque personne infectée. Estimé à 3,3 sans mesures de contrôle, ce « R0 » à chuté à 0,5 en France avec le confinement, selon les estimations. L’enjeu est de le maintenir en dessous de 1 pour que le nombre de nouveaux cas continue de diminuer.
En Allemagne, c’est le rebond de ce taux à 1 pour la première fois depuis la mi-avril, après être descendu à 0,7, qui a incité les autorités à appeler à la prudence. Car la marge de manœuvre est étroite : avec un taux d’infection « à 1,1, nous pourrions atteindre les limites de notre système de santé en termes de lits en réanimation d’ici octobre », a récemment mis en garde la chancelière Angela Merkel, ajoutant qu’elles seraient atteintes dès juillet à 1,2 et dès juin à 1,3.
AFP/LQ