Comment contraindre les États à agir vraiment contre un réchauffement planétaire galopant ? En Europe, aux États-Unis, des citoyens promettent « un printemps climatique » jalonné de grèves et de manifestations, voire de « rébellion ».
En France, c’est une centaine de marches et rassemblements qui sont organisés ce week-end par des collectifs apparus cet automne et décidés à manifester chaque mois. En décembre, en pleine agitation sociale des gilets jaunes, le défilé parisien avait réuni 20 000 personnes, malgré un appel à l’annuler lancé par leur héraut, l’ancien ministre de l’Écologie Nicolas Hulot. « On est une force citoyenne, le mouvement est très déterminé », dit l’un des porte-parole, Yacine Aït Kaci, 45 ans, artiste multimédia. « On ne voit aucune bonne nouvelle, les mesures nécessaires ne sont pas prises, les chefs d’Etat ne se sont même pas déplacés à la COP24… »
« Nouvelles formes de démocratie »
Le réchauffement entre dans une phase clé, avec à l’horizon proche un seuil de +1,5°C porteur de grands bouleversements. Et dans le même temps, les émissions de gaz à effet de serre repartent à la hausse. Alors quels moyens d’actions ? Les poursuites judiciaires et la rue ! répondent nombre d’ONG. La pétition appelant à un recours contre l’État français a recueilli en un mois 2,1 millions de signatures. « Le collectif Citoyens pour le climat voit arriver des personnes nouvelles, aux profils pas du tout militants, des familles… », poursuit Yacine Aït Kaci. « Des groupes se sont constitués dans 100 villes » pour préparer ce « printemps climatique ».
Prochain rendez-vous, le 15 mars, pour l’appel à la grève des écoliers lancé par la Suédoise Greta Thunberg, adolescente au visage grave venue exprimer sa frustration à la COP24 et jusqu’à Davos. Des milliers de jeunes manifestants ont répondu à son appel en Suisse, en Australie, à Berlin… A Bruxelles, la police a compté 35 000 jeunes jeudi.
Mais cette pression peut-elle suffire ? La transition écologique ne se fera que si le débat se démocratise, soulignent des experts en France, où les revendications sociales des gilets jaunes ont relégué le sujet à l’arrière-plan. « Les revendications des gilets jaunes sont légitimes, celles des ‘gilets verts’ aussi, mais si on sépare les sujets, on ne peut prendre les bonnes décisions ! », estime Romain Slitine, prof à Sciences Po Paris, pour qui il faut « de nouvelles formes de démocratie », « des assemblées citoyennes permettant de dialoguer, gérer la complexité, les contradictions apparentes et avancer ».
« Réalistes, pas alarmistes »
En Grande-Bretagne, une tout autre approche monte depuis six mois : le mouvement « Extinction rebellion », avocat de la désobéissance civile non-violente. Cinq ponts se sont trouvés bloqués en octobre à Londres, où des activistes se sont collés à des grilles d’administrations. Plusieurs ont été interpellés : cela fait partie de la stratégie de « XR », portée notamment par des universitaires prenant pour modèle la lutte pour les droits civiques américains.
Leur credo : « l’espoir meurt, l’action commence ». « Nous ne sommes pas alarmistes, nous sommes réalistes », soutient Liam Geary Baulch, venu à la COP24 tisser des liens avec d’autres organisations. « Nous nous organisons pour créer des perturbations répétées, et visons le gouvernement, qui doit créer le changement systémique nécessaire pour affronter cette crise », explique cet artiste de 25 ans.
Mi-avril est prévue une « semaine internationale de la rébellion ». Objectif du mouvement, qui se dit présent dans 35 pays : essaimer. Une première réunion publique est par exemple prévue ce samedi près de San Francisco. « Les États-Unis ont une longue tradition de désobéissance civile », note Doug McAdam, sociologue à Stanford. « Il y a toujours cette possibilité ici ». Pour autant « la société civile américaine n’a jamais eu grand impact » sur le climat, ajoute-t-il. Pour s’attaquer à des projets de pipeline ou de forage oui, mais sur le plaidoyer général non. Pourquoi ? « D’abord du fait de la domination de la droite, et pas seulement depuis Trump. La politique partisane décourage tous ceux à droite d’accorder la moindre crédibilité à ce sujet. Et la puissance du lobby du pétrole et du gaz excluait tout changement ».
Le chercheur a étudié 12 villes victimes de cataclysmes récents, feux, ouragans… « Nous voulions savoir si les habitants s’en trouvaient sensibilisés. Et bien à peine ! Et il n’y a pas eu plus de mobilisation, sauf à Boulder, Colorado ». En revanche, c’est avec la montée actuelle des démocrates « de gauche » – par opposition aux démocrates « de l’establishment » – que le climat pourrait bien revenir au centre de la scène, estime-t-il. « Ils ont cette proposition audacieuse de ‘nouvelle donne verte’. Et peut-être que cela stimulera les acteurs de terrain ».
LQ/AFP