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Condamnation historique d’un ex-agent syrien, «premier pas» vers la justice


D'autres procédures ont été lancées en Allemagne mais aussi en Suède ou en France en s'appuyant sur le principe de la compétence universelle qui permet de poursuivre les auteurs des crimes les plus graves quels que soient leur nationalité et l'endroit où les crimes ont été commis (photo : AFP).

La justice allemande a pour la première fois condamné mercredi un ancien membre des services de renseignement syrien pour « complicité de crimes contre l’humanité », un jugement historique salué comme « un premier pas » par des victimes de la torture dont est accusé le régime de Bachar al-Assad.

Près de dix ans après le début du soulèvement populaire en Syrie le 15 mars 2011, c’est la première fois au monde qu’une Cour de justice condamne un membre du régime syrien, quoique au bas de l’échelle, pour la « répression vaste et systématique » des manifestations pour la liberté et la démocratie, selon la présidente de la Cour, Anne Kerber.

La Haute Cour régionale de Coblence a reconnu coupable le Syrien Eyad al-Gharib, 44 ans, qui occupait un grade subalterne dans le renseignement avant de déserter en 2012, d’avoir participé à l’arrestation en septembre ou octobre 2011 d’au moins 30 manifestants à Douma, et à leur transfert vers un centre de détention des services de renseignement, dit Al-Khatib ou « branche 251 ».

«Espoir»

Ce verdict « ouvre une porte vers l’espoir (…) L’existence même d’un verdict est encore plus importante que la durée de la peine car c’est le premier pas vers sur un long chemin pour obtenir justice », a réagi le Syrien Wassim Mukdad, partie civile de ce procès et victime de la torture dans le centre Al-Khatib.

« Le nom d’Assad a été prononcé au moins cinq fois pendant l’énoncé du verdict », a aussi relevé l’avocat des parties civiles Patrick Kroker, tandis que le procureur Jasper Klinge y a vu « un signal aux auteurs » de crimes de masse en Syrie.

Le réalisateur Firas Fayyad, auteur de deux documentaires nominés aux Oscars (« Les derniers hommes d’Alep » et « The Cave ») et violé par un geôlier dans cette prison, s’est aussi réjoui du procès. « J’espère que les victimes pourront mieux dormir ce soir, j’espère que je pourrai dormir », a-t-il commenté.

D’autres procédures ont été lancées en Allemagne mais aussi en Suède ou en France en s’appuyant sur le principe de la compétence universelle qui permet de poursuivre les auteurs des crimes les plus graves quels que soient leur nationalité et l’endroit où les crimes ont été commis.

Ces recours, sur lesquels l’importante diaspora syrienne en Europe fonde ses espoirs, sont à l’heure actuelle la seule possibilité de juger les exactions perpétrées en Syrie en raison de la paralysie de la justice internationale.

L’accusé s’est caché le visage face aux caméras avec un dossier et a écouté son verdict les bras croisés, le regard fixe tourné vers le bas, avec un masque médical sur le visage. Ses avocats ont annoncé leur intention de faire appel.

Il a été le premier des deux accusés qui comparaissent depuis le 23 avril dernier à recevoir sa sentence.

Le second accusé, Anwar Raslan, 58 ans, considéré comme bien plus central dans le vaste appareil sécuritaire syrien, est poursuivi pour crimes contre l’humanité pour la mort de 58 personnes et la torture de 4.000 détenus notamment.

Eyad al-Gharib a officié dans les plus bas échelons du renseignement avant de fuir la Syrie en février 2013.

Collimateur

Après une longue odyssée en Turquie et en Grèce, il était arrivé en Allemagne en avril 2018 et avait aussitôt révélé son passé aux autorités chargées d’examiner sa demande d’asile. C’est ainsi qu’il s’était retrouvé dans le collimateur des enquêteurs allemands avant d’être interpellé le 12 février 2019.

La Cour a insisté sur le fait qu' »il savait que la torture était pratiquée » dans ce centre de détention mais qu’il n’avait pas été établi qu’il avait lui même battu des manifestants arrêtés.

Eyad al-Gharib, instructeur d’éducation physique dans les services de renseignement pendant dix ans, avait été chargé d’espionner les prêches du vendredi dans les mosquées de Damas avant de rejoindre en juillet 2011 une unité dirigée par un cousin de Bachar al-Assad.

Réputé pour sa brutalité, ce dernier, a encore souligné la Cour, avait ordonné à ses hommes, « s’ils aimaient le président », de tirer sur des manifestants.

Les ONG ont maintes fois dénoncé des crimes de masse commis dans les prisons du régime. En 2016, une commission d’enquête de l’ONU avait accusé le régime syrien d' »exterminer » des détenus.

Quelque 88.000 personnes sont mortes sous la torture dans ces prisons, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).

AFP