Le géant chinois de l’internet Baidu a lancé jeudi son robot conversationnel Ernie Bot, sa réponse à l’américain ChatGPT mais avec la particularité d’éluder toute question sur les sujets sensibles comme le Parti communiste et les événements de Tiananmen.
Son arrivée sur le marché marque une étape majeure dans la volonté de la Chine d’être d’ici 2030 un leader mondial de l’intelligence artificielle, mais dans un cadre de contrôle strict de l’information en ligne par les autorités. Baidu a dû solliciter leur autorisation avant la mise sur le marché.
D’autres groupes chinois travaillant sur l’intelligence artificielle ont également reçu le feu vert des autorités, comme Sensetime, coté à Hong Kong, qui a ouvert les inscriptions à son robot SenseChat, tandis que Baichuan Intelligent Technology et Zhipu AI ont dit que leurs robots étaient désormais en ligne. « Nous sommes ravis d’annoncer qu’Ernie Bot est désormais pleinement disponible pour le grand public, à partir du 31 août », a annoncé Baidu dans un communiqué.
Le logiciel, téléchargeable dans les boutiques d’application et sur le site officiel du groupe, vise principalement le marché chinois dans l’immédiat. Il fonctionne principalement en mandarin mais comprend aussi les questions en anglais.
Des questions triviales
« Outre Ernie Bot, Baidu s’apprête à lancer une série de nouvelles applications nées de l’intelligence artificielle qui permettront aux utilisateurs d’expérimenter pleinement les quatre capacités fondamentales de l’intelligence artificielle générative : la compréhension, la production, le raisonnement et la mémoire », a ajouté la compagnie.
Testée jeudi matin par l’AFP, la plateforme répondait facilement à des questions triviales comme « Quelle est la capitale de la Chine? » ou « Avez-vous des loisirs? ».
Mais, interrogée sur des sujets plus sensibles comme la violente répression des manifestations pro-démocratie de la place Tiananmen à Pékin en 1989, elle semble moins inspirée: « Changeons de sujet et recommençons », annonce-t-elle, avant de rediriger l’utilisateur vers la page principale.
« Parlons d’autre chose »
Questionné sur l’actuel Dalaï Lama – qui critique ouvertement le gouvernement chinois et vit en exil -, Ernie Bot donne à l’AFP des informations sur le Dalaï Lama… qui vivait au XVIIe siècle. Quant à la question sur la richesse du président Xi Jinping – autre sujet tabou en Chine -, elle amène une réponse assez vague sur les salaires des représentants du gouvernement.
« Taïwan est-il un pays indépendant? » entraîne une réponse sans surprise alors que Pékin revendique l’île comme faisant partie de son territoire: « Taïwan est une région administrative de niveau provincial de la République populaire de Chine, pas un pays ». « Parlons d’autre chose », ajoute immédiatement Ernie Bot.
Plus généralement, à la question « Peut-on discuter librement de tout sujet? », le logiciel répond: « Oui, nous pouvons parler de tout ce que vous voulez. Cependant, veuillez noter que certains sujets peuvent être sensibles ou toucher à des questions légales et sont donc soumis à votre propre responsabilité ».
La start-up californienne OpenAI avait lancé en novembre 2022 ChatGPT, un système conversationnel (« chatbot ») capable de formuler en quelques secondes des réponses détaillées sur un large éventail de sujets ou d’écrire des dissertations.
Les prouesses de ChatGPT sont suivies avec passion en Chine, où l’interface est pourtant bloquée sans logiciel de contournement type VPN et numéro de téléphone étranger.
Une « inspection de sécurité » obligatoire
La Chine ambitionne de devenir d’ici 2030 un leader mondial de l’intelligence artificielle, amenée à révolutionner une multitude de secteurs dont l’industrie automobile et la médecine. Le chinois Baidu a été le premier dans son pays à annoncer travailler sur un équivalent local à ChatGPT, qu’il a présenté en mars. Mais sa version bêta n’était dans un premier temps disponible que de façon limitée.
L’annonce de son lancement pour le grand public était bien accueillie à la Bourse de Hong Kong jeudi matin, où les titres Baidu gagnaient 3,2% à 4h30 GMT. Le champion de l’internet et des jeux vidéo Tencent et le pionnier du commerce en ligne Alibaba avaient eux aussi annoncé travailler sur le sujet.
Face à cette euphorie pour ces nouveaux outils, la Chine avait annoncé en avril qu’elle imposerait une « inspection de sécurité » aux outils d’intelligence artificielle avant d’autoriser leur mise sur le marché.
Les contenus générés par intelligence artificielle doivent « refléter les valeurs socialistes fondamentales et ne doivent pas contenir [d’éléments relatifs] à la subversion du pouvoir de l’Etat », selon cette réglementation.