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Bain de sang dans la plus grande prison d’Équateur


Samedi matin, le cadavre d'un détenu gisait sur le toit du bâtiment, aux murs blancs maculés de glaçantes traces de sang. (photo AFP)

Des affrontements d’une extrême violence entre gangs de détenus se sont poursuivis samedi dans le pénitencier de Guayaquil, dans le sud-ouest de l’Équateur, que les autorités ont affirmé « contrôler » en soirée, après la mort d’au moins 68 prisonniers en 24 heures.

Corps mutilés et brûlés, scènes d’une grande « sauvagerie », « barbarie »… À coups d’armes blanches, d’armes à feu et d’explosifs, les affrontements ont débuté vendredi soir dans le bloc 2 de ce vaste centre pénitentiaire, le plus grand du pays. Le bilan officiel samedi à la mi-journée était de 68 détenus tués et de 25 blessés.

Samedi soir, alors que la police avait pourtant assuré avoir pénétré le matin-même dans ce bloc 2, le porte-parole de la présidence Carlos Jijon a reconnu que « de nouveaux incidents se produisaient à l’intérieur du pénitencier », avec « des attaques d’un quartier à l’autre ». Le même porte-parole a affirmé peu après que la police était à l’intérieur de l’établissement et que la situation y était « sous contrôle ». Près de 900 policiers ont été déployés pour faire face aux incidents, dont 500 à l’intérieur même du complexe pénitentiaire.

« Lobos » et « Latin King »

Le président Guillermo Lasso « tient une réunion avec le haut commandement des forces armées et de la police, un cabinet de crise a été mis en place », selon Carlos Jijon. Le chef de l’État « a invité des représentants de la société civile à commencer à organiser un dialogue à l’intérieur de la prison afin de mettre fin à la barbarie qui s’y déroule », toujours selon le porte-parole présidentiel.

Débutées dans le bloc 2, les violences se sont étendues à d’autres blocs de cellules, où les gangs criminels (« Tiguerones », « Lobos » et autres « Latin King ») liés au narcotrafic font régner la terreur. Vendredi soir, l’électricité de l’établissement a été sabotée pour faciliter l’attaque de nuit.

Selon le gouverneur de la province de Guayas (dont Guayaquil est la capitale), Pablo Arosemena, « les échanges de tirs étaient très intenses, très près des portes d’entrée du pénitencier, avec des détonations ». Les assaillants ont « essayé d’assiéger, de coincer » les détenus du bloc 2. Le chef de ce bloc, connu comme le leader des « Tiguerones », a été libéré mercredi dernier après avoir purgé 60% de sa peine. « Ce bloc cellulaire (avec quelque 700 prisonniers) étant désormais sans chef, d’autres blocs, avec d’autres gangs, ont essayé de les briser, d’entrer et d’y perpétrer un massacre total », a expliqué le gouverneur, dénonçant la « sauvagerie » des assaillants, qui ont fait usage d’explosifs pour percer les murs.

Murs ensanglantés 

Selon la chef de la police, le général Tannya Varela, il y a un « vide » dans la prison en raison de l’absence de dirigeants dans plusieurs ailes, ce qui a déclenché une « une lutte pour le leadership ». Ce nouveau massacre « pourrait éventuellement conduire à d’autres actions », a-t-elle averti.

Samedi matin, le cadavre d’un détenu gisait sur le toit du bâtiment, aux murs blancs maculés de glaçantes traces de sang. Des images insoutenables diffusées dans la nuit de vendredi à samedi sur les réseaux sociaux ont montré des détenus dans une cour de la prison, s’acharnant à coups de bâtons sur un tas de corps entassés et en train de se consumer dans les flammes.

Dans un tweet, le président Guillermo Lasso a présenté ses « sincères condoléances aux familles qui ont perdu des êtres chers » et a demandé la mise en place d’ « outils institutionnels appropriés » pour faire face à cette nouvelle crise carcérale. Le 28 septembre, 119 personnes sont mortes dans les mêmes circonstances dans cette même prison de Guayas 1, lors du plus grand massacre de l’histoire carcérale de l’Équateur et l’un des pires en Amérique latine. Certains détenus avaient été démembrés, décapités, ou brûlés. Le président Lasso avait alors proclamé « l’état d’exception » dans les 65 prisons équatoriennes, promettant le déploiement d’importants renforts militaires. Le 12 octobre, la Cour constitutionnelle avait cependant limité la durée de cet « état d’exception » à la fin novembre, et interdit que les militaires ne pénètrent à l’intérieur des prisons.

Violence permanente

Samedi, le président a critiqué cette haute instance juridique, voyant dans ce nouveau bain de sang un « signal d’alarme pour les institutions de l’État équatorien, en particulier la Cour constitutionnelle ». Les 65 prisons équatoriennes peuvent accueillir 30 000 personnes mais sont occupées par 39 000 détenus, soit une surpopulation de 30%. Des armes de toutes sortes, de la drogue et des téléphones portables y circulent en grand nombre.

Situé entre la Colombie et le Pérou, principaux producteurs mondiaux de cocaïne, et utilisé comme zone de transit pour l’expédition vers les États-Unis et l’Europe, l’Équateur est confronté à une hausse de la criminalité liée au trafic de drogue, en particulier à Guayaquil, ville portuaire et centre économique du pays.

Dans l’immense prison en périphérie de la ville, qui abrite 8 500 détenus et dont la surpopulation atteint 60%, la violence n’a jamais cessé, malgré les multiples annonces du gouvernement. Ce pénitencier est divisé en douze quartiers, où sont détenus séparément les membres d’au moins sept organisations criminelles ayant des liens avec notamment les cartels mexicains de Sinaloa et Jalisco Nueva Generación. Quinze détenus y ont été tués depuis fin septembre, et plusieurs incidents avaient été signalés cette semaine.

Avec les derniers massacres, les émeutes dans les prisons équatoriennes ont fait plus de 308 morts depuis le début de l’année. Samedi, des dizaines de familles de détenus, angoissées ou en pleurs, se sont rassemblées devant le pénitencier. « Ce sont des êtres humains, aidez-les », pouvait-on lire sur une banderole.

LQ/AFP