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Autriche : Sebastian Kurz, l’art de la politique élastique


Le jeune chancelier entame son second mandat à la tête d'une coalition avec les écologistes, après avoir gouverné 18 mois avec l'extrême droite. (photo AFP)

A seulement 33 ans, l’Autrichien Sebastian Kurz a déjà le vécu d’un vieux routier de la politique : passé par plusieurs ministères, propulsé chef de parti et de gouvernement, puis démis par le parlement, il savoure la revanche d’un retour au pouvoir.

A sa précocité, le jeune patron des conservateurs (ÖVP) allie le sens du pragmatisme : il entame son second mandat à la tête d’une coalition avec les écologistes, après avoir gouverné 18 mois avec l’extrême droite et avoir fait ses débuts au sein d’une grande coalition entre la droite et les sociaux-démocrates. Le nouveau gouvernement autrichien a pris ses fonctions mardi, après une cérémonie d’investiture devant le chef de l’État.

C’est à son indéniable « flair pour les tendances politiques », selon le tabloïd Kronen Zeitung, que Sebastian Kurz doit son parcours éclair. Celui qui récupère le titre de plus jeune dirigeant élu de la planète est « l’un des meilleurs en marketing politique », renchérit le politologue Thomas Hofer. Selon l’analyste Johannes Huber, si l’Autriche remet son destin entre les mains d’un jeune homme né en 1986 d’un père technicien et d’une mère enseignante, c’est parce qu’elle est séduite par son « art parfaitement maîtrisé de la rhétorique ».

Visage adolescent et ton toujours posé, il a fait ses armes auprès des caciques du vénérable parti chrétien-démocrate, pilier de la politique autrichienne depuis la guerre : ancien chef de l’organisation de jeunesse de l’ÖVP, il a été nommé secrétaire d’État à 24 ans, avant même d’avoir achevé son cursus de droit. En 2013, il est devenu le plus jeune ministre des Affaires étrangères de l’UE, se forgeant une stature d’homme d’État en côtoyant ses homologues internationaux. Sans s’aliéner le soutien des barons de l’ÖVP, il a réussi une conquête à la hussarde du parti qu’il dirige depuis 2017, auquel il a imposé une nouvelle couleur (le turquoise pâle) et l’appellation « Liste Kurz ».

Une alliance de raison, selon lui

A une Autriche prospère mais déstabilisée par l’afflux migratoire, le jeune dirigeant a proposé la fermeture des frontières et un durcissement des conditions d’asile. Après avoir remporté ses premières élections législatives en octobre 2017, il s’était tourné vers les nationalistes du FPÖ pour former une majorité. La rafale de mesures anti-immigration votées sous son premier mandat et ses relations tendues avec les médias ont fait de lui une personnalité clivante, à l’image de son homologue hongrois Viktor Orban, qui voyait en lui l’architecte d’un « pont » entre la droite et l’extrême droite.

Sebastian Kurz a toujours évité les dérapages sémantiques et revendiqué ses convictions pro-européennes. Mais il a rarement recadré le FPÖ, alors que les provocations xénophobes de l’extrême droite ont écorné l’image de l’Autriche auprès de ses partenaires européens. Sa passivité lui a valu le sobriquet de « chancelier silencieux ». L’entourage du chancelier fait valoir qu’en musclant son discours sur l’immigration il a contenu l’ascension du FPÖ, qui en 2016 caracolait en tête des sondages et se voyait en position de remporter des élections nationales. Le premier mandat de Sebastian Kurz a connu une fin brutale dans la foulée du scandale de l’Ibizagate : filmé en caméra cachée en train de proposer des marchés publics à une jeune femme se faisant passer pour la nièce d’un oligarque russe, le chef de l’extrême droite autrichienne et vice-chancelier avait dû démissionner de toutes ses fonctions lorsque cette vidéo avait été rendue publique au mois de mai.

Après l’implosion de sa coalition, Sebastian Kurz avait été renversé par une motion de censure du parlement, une première dans l’histoire politique autrichienne. Cette péripétie ne l’avait pas empêché de renforcer le score de son parti aux législatives de septembre dernier. « L’année 2019 a été très turbulente » et « imprévisible », a-t-il reconnu en présentant son alliance inédite avec les écologistes, dictée, selon lui, par la raison et non l’opportunisme. « Il y a longtemps que j’ai juré de faire ce que je pense être juste, affirmait-il à la veille de son investiture. Et ce n’est pas ce qui correspond à l’esprit du temps, ni à ce qui plaît aux médias ».

LQ/AFP