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Aung San Suu Kyi ou le destin tumultueux de la Birmanie


Longtemps exilée en Angleterre, Aung San Suu Kyi, aujourd'hui âgée de 75 ans, est rentrée en Birmanie en 1988, devenant la figure de l'opposition face à la dictature militaire. (archives AFP)

Aung San Suu Kyi, arrêtée lundi lors d’un coup d’État, incarne le destin tumultueux de la Birmanie: icône de la démocratie, puis paria de la communauté internationale avec le drame des musulmans rohingyas, elle risque de retomber dans les griffes des militaires.

« La Dame de Rangoun », qui dirige de facto la Birmanie depuis 2016, a été interpellée avec plusieurs autres dirigeants de son parti, la Ligue Nationale pour la démocratie (LND). Elle a exhorté la population à « ne pas accepter » ce putsh militaire, d’après une lettre diffusée sur les réseaux sociaux par son parti. Alors que les rumeurs de coup d’État se renforçaient dans le pays ces derniers jours, la cheffe de facto du gouvernement civil « a laissé ce message au peuple », a expliqué sur Facebook Win Htein, le président de son parti.

« Je ne crois pas en l’espoir, je ne crois que dans le travail. Vous travaillez dur pour réaliser vos espoirs. L’espoir seul ne nous mène nulle part », confiait-elle en août 2015. Quelques mois plus tard, la LND remportait un scrutin historique et Aung San Suu Kyi, cantonnée à la dissidence pendant près de trente ans, était propulsée à la tête de l’exécutif. Une position qu’elle devait conserver, son mouvement ayant de nouveau remporté une victoire écrasante aux législatives de novembre. Mais l’armée en a décidé autrement avec l’interpellation de la dirigeante de 75 ans.

Le drame des Rohingyas

Lors de ces années à la tête du pays, Aung San Suu Kyi s’est heurtée à l’épreuve du pouvoir, obligée de composer avec des militaires tout-puissants à la tête de trois ministères clés (l’intérieur, la défense et la frontière). Jadis comparée à Nelson Mandela ou Martin Luther King, son image est à jamais écornée par le drame des musulmans rohingyas. Quelque 750 000 membres de cette minorité ont fui les exactions de l’armée et de milices bouddhistes en 2017 et se sont réfugiés dans des camps de fortune au Bangladesh, un drame qui vaut à la Birmanie d’être accusée de « génocide » devant la Cour internationale de Justice (CIJ), le principal organe judiciaire des Nations Unies.

La dirigeante, qui nie « toute intention génocidaire », est venue en personne défendre son pays devant la Cour. Son manque de compassion dans cette affaire lui a attiré les foudres de la communauté internationale : le Canada et plusieurs villes britanniques lui ont retiré son titre de citoyenne d’honneur, Amnesty international la privant de son prix d’ « ambassadrice de conscience ». Mais Aung San Suu Kyi gardait la confiance de son peuple.

Sa vie commence par un drame : l’assassinat en 1947 de son père, héros de l’indépendance, alors qu’elle n’a que deux ans. Elle vit ensuite longtemps en exil : notamment en Inde puis en Grande-Bretagne, ex-puissance coloniale. Elle y mène la vie d’une femme au foyer, mariée à un universitaire spécialiste du Tibet à Oxford, Michael Aris, et mère de deux petits garçons.

D’abord une icône

En 1988, elle rentre en Birmanie au chevet de sa mère et surprend tout le monde en décidant de s’impliquer dans le destin de son pays, en pleine révolte contre la junte militaire. « Je ne pouvais pas, en tant que fille de mon père, rester indifférente à tout ce qui se passait », lance-t-elle lors de son premier discours, resté comme le symbole de son entrée en politique.

La répression de 1988 fait quelque 3 000 morts, mais marque la naissance de l’icône. Elle devient alors la « dépositaire des espoirs d’un retour à la démocratie » pour tout le peuple birman écrasé par la dictature militaire depuis 1962, explique Phil Robertson, représentant de l’ONG Human Rights Watch en Asie. Autorisée à former la LND, elle est rapidement placée en résidence surveillée et assiste, à distance, à la victoire de son parti aux élections de 1990, dont la junte refuse de reconnaître les résultats.

Dans sa maison au bord d’un lac en plein cœur de Rangoun, où elle est consignée, de rares émissaires sont autorisés à lui rendre visite, ainsi que parfois ses deux garçons, restés vivre en Angleterre avec leur père. Celui-ci mourra d’un cancer sans qu’elle puisse lui dire adieu.

Puis le pouvoir autocratique

En 1991, elle reçoit le prix Nobel de la paix mais ne peut pas se rendre à Oslo. Elle devra attendre plus de vingt ans pour venir le chercher.

En 2010, elle est libérée après quinze ans de résidence surveillée et entre au Parlement en 2012 après l’auto-dissolution de la junte un an plus tôt.

Rapidement, l’image de l’icône commence à se fendiller à l’international, certains lui reprochant sa conception autocratique du pouvoir. Elle était prise au piège de sa « position de quasi-princesse de ce pays », « restée à part, en raison de l’importance de sa famille et de ses années en résidence surveillée », relève le politologue Nicholas Farrelly.

LQ/AFP