Près de quatre ans après l’attentat qui a fait 86 morts le 14 juillet 2016 sur la promenade des Anglais à Nice, les juges antiterroristes ont terminé leurs investigations, ouvrant la voie à un procès très attendu par les parties civiles, qui craignent toutefois un fiasco judiciaire.
Cette décision ouvre un délai d’un mois pour les observations des parties et pour les réquisitions du parquet national antiterroriste, avant une décision finale des juges sur la tenue d’un procès, qui ne pourra pas avoir lieu avant 2022.
Le 14 juillet 2016, soir d’affluence et de feu d’artifice sur la promenade des Anglais à Nice, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, un Tunisien de 31 ans, a fauché 86 vies, enfants, familles nombreuses et touristes étrangers, en quatre minutes, avant d’être abattu par les forces de l’ordre.
Celui-ci étant mort, le procès portera sur la question des soutiens de son entourage. Huit personnes, dont quatre détenues, sont mises en examen dans cette enquête et une neuvième s’est suicidée en prison. La justice antiterroriste devra donner une première orientation : si elle trouve la thèse d’un soutien à caractère terroriste suffisamment solide, le procès pourrait avoir lieu aux assises, devant une cour spéciale. Si non, il se tiendrait en correctionnelle, au risque de critiques sur un « fiasco » de l’instruction qui a suivi dès le début la piste d’un noyau « terroriste », jugée pourtant « fragile » y compris par des avocats des victimes.
Démarches multiples pour louer le camion, repérages sur la partie piétonne de la « Prom » afin de multiplier les victimes : les éléments de l’enquête étayent le caractère prémédité de l’attaque, mais son mobile reste incertain. L’auteur avait certes manifesté des signes récents de religiosité voire d’attrait pour l’islamisme radical. Mais Lahouaiej-Bouhlel était inconnu des renseignements, et les enquêteurs n’ont pas trouvé d’acte d’allégeance à Daech ni de preuve d’une quelconque implication du groupe. Les mis en cause contestent tous avoir eu connaissance des projets de l’assaillant, sans que l’enquête n’apporte une preuve formelle du contraire.
Un non-lieu demandé
Certains avocats entendent donc demander un non-lieu total ou partiel concernant ces protagonistes afin que ne soit jugé qu’un volet secondaire, celui du trafic d’un réseau albanais qui a permis à l’attaquant de disposer d’une arme le soir des faits.
Pour un avocat de familles de victimes, ces protagonistes sont des « petites frappes » alors que l’arme du crime, « c’est le camion ». La clôture de l’enquête « ouvre une période de questionnement, qui doit être à la hauteur du drame », a réagi Me Eric Morain, avocat de la Fenvac, principale association de victimes. « Que savaient les mis en examen avec certitude et qu’est-ce qu’ils ne pouvaient pas savoir compte tenu de la personnalité de l’auteur ? Il faut éviter le risque de fiasco judiciaire, qui serait qu’une cour d’assises spéciale dise qu’il n’y a pas d’association de malfaiteurs terroriste. Autant régler cette question au stade de l’instruction. »
Un nouveau « drame » dans le drame
« La correctionnalisation que je crains serait vécue comme un drame par la plupart des parties civiles », a observé pour sa part MeGérard Chemla, autre avocat de victimes.
Avocats de l’un des suspects écroués, Mes Chloé Arnoux et Florian François Jacquemin ont estimé que la clôture de l’information judiciaire, « d’une particulière longueur », était un « soulagement ». « Les éléments du dossier ont été retournés dans tous les sens afin de ne manquer aucune potentielle piste », ont-ils souligné. « Nous espérons que le temps du règlement de ce dossier permettra au parquet et au magistrat de constater l’évidence : ces faits dramatiques ont été décidés, élaborés et exécutés seuls par une personne particulièrement déséquilibrée habitée par un dessein mortifère », ont-ils affirmé.
« Mes clients attendent ce procès mais également un autre procès sur les failles de sécurité », a de son côté réagi Me Yassine Bouzrou, qui défend des parties civiles. En parallèle de cette enquête, une instruction est en effet toujours en cours à Nice sur le dispositif de sécurité défaillant, objet d’une très vive polémique à l’été 2016. L’enquête n’a pas mené à des mises en examen, laissant ouverte la possibilité d’un non-lieu.
LQ/AFP