En admettant mardi que des prêtres se sont servis de religieuses comme « esclaves sexuelles » – et que certains continuent à le faire – le pape François a ouvert un nouveau et sombre chapitre dans le scandale des abus sexuels qui ébranlent l’Église catholique.
« C’est la première fois que le pape, mais aussi l’Église en tant qu’institution, admet que ces abus ont lieu, et c’est extrêmement important », assure Lucetta Scaraffia, rédactrice en chef de Women Church World, le supplément féminin du journal du Vatican, l’Osservatore Romano.
Interrogé dans l’avion qui le ramenait mardi des Émirats arabes unis, le pape François a reconnu que « des prêtres et des évêques » avaient commis des agressions sexuelles sur des religieuses. Ce phénomène peut se rencontrer « partout », mais il est plus présent dans « quelques congrégations nouvelles et dans quelques régions », a-t-il précisé, ajoutant : « Cela fait longtemps que nous travaillons sur ce dossier ».
Il a rendu hommage à son prédécesseur Benoît XVI, qui a eu « le courage de dissoudre une congrégation féminine » où « s’était installé cet esclavage des femmes, esclavage allant jusqu’à l’esclavage sexuel des femmes par des clercs et par le fondateur ». Jorge Bergoglio évoquait la congrégation française des Soeurs contemplatives de Saint-Jean, dont les supérieures ont été écartées après une enquête du Vatican sur des dérives sectaires et sexuelles.
Par « exclavage sexuel », il entendait une « manipulation, une forme d’abus de pouvoir qui se reflète aussi dans des abus sexuels », a précisé le Saint-Siège. Le scandale des prêtres violant ou abusant des religieuses s’inscrit dans celui plus large des abus de pouvoir qui ont permis à des membres du clergé pédophiles de nuire en toute impunité pendant des décennies dans nombre de pays.
Un procès qui se conclut par un simple avertissement
Dans le sillage des révélations sur les vastes abus contre les enfants et du mouvement #MeToo, des religieuses ont commencé ces dernières années à élever la voix à leur tour. Au point de voir Women Church World consacrer son dernier numéro aux religieuses violées, forcées à avorter ou à élever seules, chassées de leur communauté, des enfants jamais reconnus par leur prêtre de père. Et la semaine dernière, un haut responsable d’un ministère du Vatican, accusé par une ancienne religieuse allemande d’avoir été trop pressant pendant une confession, avait finalement démissionné, quatre ans après un procès canonique qui lui avait valu un simple avertissement.
« Tant de plaintes ont été envoyées au Vatican et n’ont pas été suivies d’effet », regrette Lucetta Scaraffia. « J’espère vraiment qu’une commission va être mise en place pour enquêter et que des religieuses expertes sur ce sujet vont être appelées à y participer ». « Ils pourraient entamer rapidement des procès, et surtout en parler, parce que c’est le silence qui permet aux violeurs de continuer à violer », ajoute-t-elle.
Le pouvoir des prêtres sur la vie des religieuses
Si le problème est présent dans toute l’Eglise, il l’est tout particulièrement en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Ainsi, des abus sur des religieuses ont été dénoncés du Chili à la République démocratique du Congo, en Italie, au Kenya, au Pérou ou encore en Ukraine. En Inde, une religieuse a récemment accusé un évêque de l’avoir violée à de nombreuses reprises.
Mais pour les victimes, « ce n’est pas facile de parler. Elles craignent que cela se retourne contre elles ou contre leur congrégation », explique Lucetta Scaraffia. Pour elle, l’essence du problème réside dans le pouvoir des prêtres sur la vie des religieuses, de leur entrée dans les ordres aux détails de leur quotidien et jusqu’à leur salaire. « Elles ne sont pas reconnues comme des égales ». Le fait que le pape reconnaisse le problème « représente un énième coup pour l’image de l’Église, mais aussi une occasion de montrer que le changement est réellement en cours », estime Lucetta Scaraffia. La clé ? « Retirer aux prêtres leur aura de pouvoir, qui leur permet de se comporter ainsi ». Et même s’il y a encore « une grande résistance », l’exemple de la levée progressive de l’omerta sur les cas d’agressions pédophiles montre que cela peut évoluer, a-t-elle conclu.
AFP