Une ancienne secrétaire d’un camp de concentration, âgée de 97 ans, a été condamnée mardi à deux ans de prison avec sursis dans l’un des ultimes procès sur l’époque nazie en Allemagne qui envoie un « signal important » aux derniers survivants des crimes alors commis.
Irmgard Furchner, accusée de complicité de meurtres dans plus de 10 000 cas au camp de Stutthof, dans l’actuelle Pologne, était jugée depuis septembre 2021 devant la Cour d’Itzehoe, dans le nord de l’Allemagne.
Cette condamnation est conforme aux réquisitions du parquet qui avait souligné la « signification historique exceptionnelle » de ce procès, avec un jugement avant tout « symbolique ». La nonagénaire, coiffée d’un béret blanc, était présente à la lecture du verdict qu’elle a écoutée assise dans sa chaise roulante.
Elle ne s’était pas exprimée devant ce tribunal, sauf pendant l’une des toutes dernières audiences, en décembre, où elle avait formulé des regrets. « Je suis désolée pour tout ce qui s’est passé. Je regrette d’avoir été à Stutthof à ce moment-là », avait-elle déclaré.
Une déclaration prouvant que « le procès a eu un impact sur elle », a estimé le juge Dominik Gross mardi, tout en regrettant son silence. Irmgard Furchner est la première femme à avoir été jugée en Allemagne depuis des décennies pour les crimes commis sous les nazis.
Une « relation de confiance » avec le commandant
Elle avait pris la fuite le jour de l’ouverture des audiences : quittant en taxi son logement dans un foyer pour personnes âgées, elle ne s’était pas présentée au tribunal. La nonagénaire avait été retrouvée quelques heures après.
Âgée au moment des faits de 18 à 19 ans, Mme Furchner était employée en tant que dactylographe et secrétaire du commandant du camp, Paul Werner Hoppe. Selon sa défense, le procès n’a pas prouvé qu’elle avait connaissance des meurtres pratiqués de façon systématique à Stutthof.
L’argument a été balayé par les juges. Réfutant l’idée selon laquelle elle avait été, comme elle le prétendait, « une jeune secrétaire naïve », la Cour a estimé que « rien » n’avait été « caché à l’accusée ». Elle « avait une relation de confiance » avec le commandant, poursuit le verdict. Tapant les courriers de ce dernier, Irmgard Furchner avait accès aux « informations confidentielles ».
« Un signal important »
Le soutien de Mme Furchner à la machine nazie « consistait à mettre par écrit les ordres du commandant », a expliqué le juge Gross. En raison de son âge au moment des faits, elle comparaissait devant une Cour spéciale pour jeunes.
A Stutthof, un camp proche de Gdansk (Dantzig à l’époque) où périrent environ 65.000 personnes, des détenus juifs, des partisans polonais et des prisonniers de guerre soviétiques ont été systématiquement assassinés.
Pendant le procès, plusieurs survivants ont témoigné de l’épreuve vécue dans un système inhumain destiné à les faire mourir à petit feu. Ce verdict est pour eux « un signal important », a assuré Stefan Lode, l’avocat de trois de ces survivants résidant aux Etats-Unis. « Notre Etat de droit poursuit cette affaire après tant de décennies et envoie le signal à l’extérieur que le meurtre n’est pas prescrit », a-t-il ajouté.
« Odeur omniprésente des cadavres »
La plupart des détenus périrent de faim, de soif, de maladies, comme le typhus, et d’épuisement. Pour exécuter les plus faibles, le camp disposait de chambres à gaz et d’un autre lieu où on les tuait d’un tir dans la nuque.
« A proximité immédiate des prisonniers, l’odeur des cadavres était omniprésente », ajoute le verdict, considérant « inimaginable que l’accusée n’ait rien remarqué ». Son époux travaillait en tant que SS dans le camp.
Soixante-dix-sept ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, l’Allemagne continue de rechercher d’anciens criminels nazis encore en vie, illustrant la sévérité accrue, quoique tardive, de sa justice.
Peu de femmes poursuivies
Très peu de femmes impliquées dans les crimes nazis ont été poursuivies. La secrétaire particulière d’Adolf Hitler, Traudl Junge, n’a jamais été inquiétée jusqu’à sa mort en 2002.
La jurisprudence de la condamnation en 2011 de John Demjanjuk, un gardien du camp de Sobibor en 1943, à cinq ans de prison ferme, permet désormais de poursuivre pour complicité de dizaines de milliers d’assassinats n’importe quel auxiliaire d’un camp de concentration, du garde au comptable.
En juin, un ancien gardien du camp de concentration de Sachsenhausen (nord de Berlin), âgé de 101 ans, a été condamné à cinq ans de prison.