Accusé d’avoir laissé mourir de soif une fille yézidie après l’avoir réduite en esclavage, un Irakien, membre présumé du groupe État islamique (EI), comparaît depuis vendredi en Allemagne pour meurtre et génocide contre cette minorité kurdophone du nord de l’Irak.
Taha Al-Jumailly, 37 ans, également accusé de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et trafic d’êtres humains, est apparu devant le tribunal régional supérieur de Francfort vêtu d’une chemise blanche, cachant son visage derrière un classeur noir. « Il avait le but de détruire entièrement ou en partie le groupe religieux des yézidis », a déclaré la procureure lors de la lecture de l’acte d’accusation, pendant que l’accusé esquissait plusieurs sourires. Il ne s’est pas exprimé. Son épouse allemande, Jennifer Wenish, 28 ans, qui avait quitté l’Allemagne pour rejoindre l’EI en septembre 2014, est jugée depuis un an pour le même meurtre à Munich.
Lors de son ouverture en avril 2019, son procès a été considéré comme le premier au monde des exactions commises par l’organisation jihadiste à l’encontre des yézidis, une minorité persécutée et asservie par les jihadistes à partir de 2014. Représentée par l’avocate libano-britannique Amal Clooney et par la yézidie Nadia Murad, ancienne esclave sexuelle de l’EI et coprix Nobel de la paix 2018, la mère de l’enfant, présentée par la presse comme Nora, a témoigné à plusieurs reprises à Munich du calvaire qu’elle affirme avoir subi avec sa fille, Rania.
Graves sévices
Amal Clooney et Nadia Murad sont à la tête d’une campagne internationale pour faire reconnaître les crimes commis contre les yézidis comme un génocide. Selon l’accusation, Taha Al-Jumailly a rejoint l’EI en mars 2013 et occupé jusqu’à l’an dernier diverses fonctions en son sein à Raqa, « capitale » du groupe en Syrie, mais aussi en Irak et en Turquie. La justice allemande lui reproche notamment d’avoir, en 2015, « acheté comme esclaves » une femme de la minorité yézidie et sa fillette de cinq ans, avant de les emmener à Falloujah, où elles ont subi de graves sévices et ont été en partie privées de nourriture.
Après de nombreuses maltraitances au cours de l’été 2015, la petite fille a été « punie » par l’accusé pour avoir uriné sur un matelas et attachée, par des températures autour de 50 °C, à une fenêtre à l’extérieur de la maison où elle vivait enfermée avec sa mère. La fillette est morte de soif tandis que sa mère avait été contrainte de marcher dehors pieds nus, s’infligeant des brûlures graves en raison de la chaleur extrême du sol. Les deux victimes, enlevées en 2014 dans la région irakienne du Sinjar, avaient été à plusieurs reprises « vendues » sur des « marchés aux esclaves », selon le parquet.
« Il souriait pendant la lecture de l’accusation »
Interpellé en Grèce le 16 mai 2019, l’accusé avait été remis à l’Allemagne le 9 octobre et placé en détention provisoire le lendemain. « Le fait qu’il souriait pendant la lecture de l’accusation est un deuxième coup porté aux victimes », a commenté Düzen Tekkal, membre d’une association allemande de soutien aux yézidis. Le procès doit durer au moins jusqu’en août. Néanmoins, prouver l’existence d’un génocide devant la justice s’avère difficile car la volonté d’anéantir tout un groupe comme les yézidis doit être avérée, selon des spécialistes. « Il n’y a souvent pas d’ordre d’anéantir », explique le juriste de l’université de Leipzig Alexander Schwarz.
« Il n’y a pas d’instructions écrites dans lesquelles figure : ‘Anéantissez les yézidis' ». La petite minorité ethno-religieuse yézidie est considérée comme la plus persécutée par les jihadistes qui ont réduit ses femmes à l’esclavage sexuel, enrôlé de force des enfants-soldats et tué des hommes par centaines. En août 2014, l’EI s’est livré, selon l’ONU, à un possible génocide: d’après leurs autorités, plus de 1 280 yézidis ont été tués et plus de 6 400 yézidis ont été enlevés.
Irakiens non arabes et non musulmans, de nombreux yézidis ont trouvé refuge en Allemagne, notamment dans le sud-ouest du pays, où des femmes et leurs enfants, victimes de viols répétés, ont été pris en charge et soignés. Parmi les bénéficiaires de ce programme mis en place fin 2014 figurait Nadia Murad qui parcourt aujourd’hui le monde.
LQ/AFP