Le régime syrien a déployé jeudi des centaines de soldats d’élite pour conquérir les quartiers les plus peuplés d’Alep-Est et accélérer la chute de ce bastion rebelle, qui risque selon l’ONU de se transformer en un « gigantesque cimetière ».
À coups de raids aériens, de barils d’explosifs et de tirs d’artillerie incessants depuis 15 jours, l’armée a provoqué de terribles destructions à Alep-Est, poussé quelque 50.000 habitants à fuir et pris le contrôle de 40% de la zone, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).
Aidé de milliers de combattants étrangers -iraniens, du Hezbollah libanais, irakiens et palestiniens-, « le régime resserre l’étau sur les zones toujours sous contrôle des rebelles », a indiqué Rami Abdel Rahmane, le directeur de l’OSDH.
Des centaines de soldats des unités d’élite de la Garde républicaine et de la 4e Division ont été déployés en vue « des batailles de rue » dans les zones les plus peuplées, a-t-il précisé. « Ils avancent mais craignent des embuscades, les combattants se mêlant aux habitants ».
Bien qu’aguerris, les groupes rebelles sont submergés par la puissance de feu du pouvoir, déterminé à reprendre la totalité d’Alep et de leur infliger leur plus sévère défaite depuis le début de la guerre en mars 2011.
« Les obus ne s’arrêtent pas, c’est impossible de passer », ont crié des habitants à un correspondant de l’AFP alors qu’ils tentaient de se rendre mercredi dans le secteur de Sakhour repris par l’armée.
Alep-Est comptait encore récemment 250.000 habitants, mais plus de 50.000 d’entre eux, selon l’OSDH, ont fui ces derniers jours la zone assiégée depuis quatre mois et privée de nourriture, médicaments ou électricité.
Malgré le temps glacial, cet exode devrait s’accentuer devant le déluge de feu qui continue de s’abattre sur les quartiers rebelles, où quatre enfants membres d’une même famille ont péri jeudi, a précisé l’ONG.
Alliée du régime à qui elle fournit une aide militaire précieuse dans la guerre, la Russie a proposé la création de quatre couloirs humanitaires à Alep-Est, a indiqué un haut responsable de l’ONU, Jan Egeland, qui espère pouvoir évacuer les blessés et y acheminer de l’aide.
Plus de 300 civils, dont 33 enfants, ont été tués à Alep-Est depuis le début de l’offensive le 15 novembre, selon l’OSDH. Près d’une cinquantaine sont morts à Alep-Ouest par des tirs attribués aux rebelles.
Ces derniers jours, le journaliste de l’AFP a vu plusieurs cadavres, dont des corps déchiquetés d’hommes, de femmes et d’enfants, dans des rues complètement ravagées. Privés d’ambulances -détruites par les bombes ou rendues inutilisables faute de carburant-, les secouristes sont incapables de venir en aide aux victimes.
Les habitants d’Alep-Est « sont assiégées depuis près de 150 jours déjà et n’ont pas les moyens de survivre beaucoup plus longtemps », a averti le patron des opérations humanitaires de l’ONU Stephen O’Brien. « Nous supplions » les belligérants « de faire tout leur possible pour protéger les civils et permettre l’accès à la partie assiégée d’Alep-Est avant qu’elle ne devienne un gigantesque cimetière », a ajouté M. O’Brien, en exhortant le régime à autoriser l’entrée des aides.
M. O’Brien a lancé cet appel devant le Conseil de sécurité de l’ONU, réuni en urgence mercredi à la demande de la France. Mais cette réunion, comme les précédentes, s’est conclue sans avancée, témoignant de l’impuissance de la communauté internationale sur ce dossier.
Les Occidentaux en ont rejeté la faute sur la Russie. « Le Conseil ne répond pas aux appels à l’aide des civils (d’Alep) car la Russie ne le veut pas », a dit l’ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU Samantha Power. Son collègue britannique Matthew Rycroft a lui aussi dénoncé les « vétos » de Moscou.
L’ambassadeur russe Vitali Tchourkine a rétorqué en accusant les Occidentaux de vouloir « sauver des terroristes » et « d’utiliser des problèmes humanitaires à des fins politiques ».
Une reprise de la totalité d’Alep, divisée depuis 2012, représenterait la plus importante victoire enregistrée par le régime depuis le début de la guerre qui a fait plus de 300.000 morts en plus de cinq ans et demi. Elle porterait un nouveau coup très dur aux rebelles qui ne contrôleraient alors plus que la province d’Idleb (nord) et quelques poches à Deraa (sud) et près de Damas.
Elle constituerait aussi une défaite pour les alliés arabes de l’opposition (Arabie saoudite, Qatar, Turquie…) et les Occidentaux et renforcerait les alliés du régime, la Russie, l’Iran et le Hezbollah libanais.
Le Quotidien / AFP