Plusieurs pays occidentaux ont appelé leurs ressortissants à s’éloigner au plus vite de l’aéroport de Kaboul en raison de menaces « terroristes », alors que des milliers de personnes s’y massent toujours dans l’espoir de fuir le pays tombé aux mains des talibans.
Alors que la date-butoir fixée par les Etats-Unis pour leur retrait d’Afghanistan, le 31 août, approche, plusieurs pays, dont la France et les Pays-Bas ont annoncé jeudi qu’ils allaient bientêt mettre fin à leurs vols d’évacuation. Les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni ont émis simultanément des mises en garde très précises et presque identiques dans la nuit de mercredi à jeudi.
Les personnes « se trouvant actuellement aux entrées Abbey, Est et Nord devraient partir immédiatement », a indiqué le département d’État américain, invoquant des « menaces sécuritaires ». La diplomatie australienne a pour sa part mis en garde contre une « menace très élevée d’attentat terroriste ». Londres a émis une alerte similaire: « Si vous vous trouvez dans la zone de l’aéroport, quittez-la pour un endroit sûr et attendez d’autres instructions. Si vous êtes à même de quitter l’Afghanistan en sécurité par d’autres moyens, faites-le immédiatement ».
Aucune précision sur la nature de la menace n’a été apportée dans ces avis, mais le ministre australien de la Défense, Andrew Hastie, a expliqué que « le risque de la présence d’un kamikaze est si élevé que la menace augmente », dans une interview avec la radio australienne 6PR. Le secrétaire d’État britannique chargé des forces armées, James Heappey, a pour sa part évoqué une menace « très sérieuse » et « imminente ».
Ces avertissements sont intervenus après que le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a assuré que les talibans s’étaient engagés à laisser partir les Américains et les Afghans à risque se trouvant encore dans le pays après la date-butoir du 31 août. Il n’a toutefois pas spécifié comment leur départ s’organiserait.
La menace État islamique
Malgré une situation chaotique, 88.000 personnes ont été évacuées depuis la mise en place du pont aérien le 14 août, à la veille de l’entrée des talibans dans Kaboul et de leur prise du pouvoir.
Plusieurs pays ont plaidé en vain pour une extension du délai au-delà du 31 août, estimant qu’il ne serait pas possible d’évacuer tout le monde d’ici là. D’autant que, pour que le retrait soit effectif ce jour-là, il faudra avoir interrompu les évacuations plus tôt, les Etats-Unis devant rapatrier leur dispositif militaire.
Le Premier ministre français Jean Castex a annoncé jeudi que la France interromprait ses opérations vendredi soir, une date-butoir « imposée par les Américains » selon une source gouvernementale. Les Pays-Bas ont également fait savoir qu’ils mettaient fin à leurs vols d’évacuation depuis Kaboul.
Mercredi soir, la Belgique avait déjà dit mettre un terme à ses opérations afghanes. La Turquie avait quant à elle annoncé le retrait de ses soldats, qui gardaient l’aéroport de Kaboul au côté des militaires américains, abandonnant ainsi sa proposition de continuer à en assurer la sécurité après le retrait des forces étrangères. Lors d’un sommet virtuel mardi avec les autres dirigeants du G7, le président américain Joe Biden avait évoqué déjà un « risque grave et croissant d’attaque » du groupe jihadiste État Islamique (EI) à l’aéroport.
Sous le nom d’ISKP (État islamique Province du Khorasan), l’EI a revendiqué certaines des attaques les plus meurtrières commises ces dernières années en Afghanistan. Il a massacré des civils dans des mosquées, des hôpitaux ou des lieux publics, ciblant surtout les musulmans qu’il considère comme hérétiques, en particulier les chiites. Même s’il s’agit de deux groupes sunnites radicaux, l’EI et les talibans sont en concurrence et sont animés par une haine tenace et réciproque.
Un porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, a accusé mardi les États-Unis et leurs alliés de vider le pays de ses forces vives en évacuant les Afghans qui ont travaillé avec eux, souvent parmi les plus qualifiés. Beaucoup d’entre eux, souvent urbains et éduqués, craignent que les islamistes n’instaurent le même type de régime fondamentaliste et brutal que lorsqu’ils étaient au pouvoir entre 1996 et 2001. Les femmes et les minorités ethniques en particulier s’inquiètent pour leur sort.
« Nous sommes la génération des femmes éduquées, ils (les talibans) ne le supportent pas, ils ne peuvent pas gouverner avec nous, ils vont nous exterminer », a déploré une jeune femme bloquée à Mazar-e-Sharif (Nord), en quête de contacts à l’étranger pour l’aider à fuir.
« Le business de la peur »
Les talibans n’ont pas formé de gouvernement, disant attendre que le dernier soldat étranger ait quitté le pays. Sans lois valables sur tout le territoire, les règles diffèrent d’une région à l’autre. Les islamistes s’efforcent de se présenter sous un jour plus modéré, souvent sans convaincre, en tout cas à Kaboul. « C’est le business de la peur. Ils n’ont pas d’armée pour contrôler les gens. Mais la peur contrôle tout le monde », observe un jeune banquier de Kaboul.
Sous le vocable de talibans se regroupent des gens bien différents, note-t-il cependant. « Certains groupes se comportent bien avec la population », mais d’autres n’en font qu’à leur tête, comme ceux qui mangent dans les restaurants sans payer.
Les talibans savent qu’ils doivent s’appuyer sur les structures administratives existantes, n’ayant pas dans leurs rangs l’expertise nécessaire pour gouverner seuls le pays, et notamment relancer une économie dévastée par la guerre et très dépendante de l’aide internationale.
LQ/AFP