L’adhésion à l’UE ne doit pas être une fin en soi. Les six pays des Balkans voulant entrer dans le «club» sont incités à respecter et renforcer l’état de droit, indépendamment du sort qui sera réservé à leur candidature.
La clé pour se voir ouvrir les portes de l’UE est clairement définie pour la Serbie, le Monténégro, la Macédoine du Nord, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo. «Les dirigeants des Balkans occidentaux devraient veiller à ce que les valeurs fondamentales, les principes démocratiques et l’état de droit soient respectés et mis en œuvre rigoureusement», insistent les chefs d’État et de gouvernement dans la déclaration de Zagreb, adoptée le 6 mai dernier à l’issue d’un sommet virtuel sur l’élargissement de l’UE vers les Balkans.
Quelle est la situation actuelle dans les différents pays candidats au moment où la politique d’élargissement de Bruxelles prend un nouvel élan ? Comme nous l’évoquions dans notre édition de samedi, « la bataille de l’état de droit » reste encore à mener. « Ces réformes fondamentales sont essentielles pour avancer sur le chemin de l’Europe », souligne le commissaire européen à l’Élargissement, Olivér Várhelyi, dans une intervention livrée, vendredi dernier, dans le cadre de la conférence sur l’élargissement de l’UE, organisée par la représentation permanente de la Commission en Croatie.
Un panel de responsables politiques, diplomates, chercheurs et représentants d’ONG ont souligné à cette même occasion que l’adhésion des six pays candidats ne doit pas être une fin en soi. « Il est bien d’avoir un objectif européen mais au final se pose la question suivante : dans quelle société nous voulons vivre ? », avance Senadà Šelo Šabic de l’Institut pour le développement et les relations internationales (IRMO) basé à Zagreb. « Les Balkans doivent faire leur choix », renchérit Robert Klinke, l’ambassadeur d’Allemagne en Croatie.
«L’UE a un problème de crédibilité»
Ces derniers mois, la situation s’est pourtant tendue, notamment en Serbie où des tendances autoritaires sont reprochées au président Aleksandar Vucic. Pourtant, les 27 ont encore salué début mai « l’attachement ferme des partenaires des Balkans occidentaux à la primauté de la démocratie et de l’état de droit ».
Sur le terrain, le chemin reste long, d’autant plus que « l’UE est confrontée à un problème de crédibilité , comme le fait remarquer Ivan Novosel, membre de l’Human Rights House de Zagreb. Avec la Hongrie et la Pologne, l’UE compte en ses rangs des pays qui affichent un grave problème en matière de respect des valeurs des droits de l’homme. Cela ne simplifie pas la tâche de convaincre les pays des Balkans de se tenir aux règles de l’état de droit. »
L’équation de base ne change cependant pas. « Le respect des valeurs fondamentales constitue la base pour développer une confiance mutuelle », note Ivan Novosel. Un exercice d’équilibriste est à mener par la Commission européenne, qui doit continuer à faire preuve de fermeté sans laisser croire aux candidats à l’adhésion qu’ils sont tombés aux oubliettes. « Les pays concernés doivent se montrer proactifs. Il ne faut pas attendre l’UE. Les solutions existent. En fin de compte, il s’agit d’une question de volonté politique », reprend Senadà Šelo Šabic.
Selon les observateurs rencontrés en fin de semaine dernière à Zagreb, la population n’est pas suffisamment intégrée dans le processus. « Un problème majeur est qu’il n’existe pas de contrat conclu avec la société », déplore Ivan Novosel. « Les citoyens n’ont toujours pas compris quel pouvoir ils ont entre leurs mains », ajoute Domagoj Hajdukovic, le président de la commission des Affaires européennes du Parlement croate. Les programmes d’éducation civique feraient toutefois défaut. Ce serait le chemin pour responsabiliser davantage les gens et leur faire comprendre quels sont leurs droits et obligations dans une société en quête de maturité.
La plus grande implication de la population doit permettre de mettre la pression sur les responsables politiques. Et elle doit ramener plus de confiance dans les institutions. Le spectre de la corruption reste en effet omniprésent. « Même en Croatie, 80% des gens continuent à croire qu’il faut avoir des entrées en politique pour décrocher un emploi », indique Ivan Novosel. « On a le besoin de mieux éduquer les générations du futur pour parvenir à changer le système », enchaîne le militant pour les droits de l’homme.
La réconciliation, l’autre enjeu majeur
Actuellement, le risque existerait encore que les pays candidats puissent faire semblant d’avoir avancé sur le respect des valeurs fondamentales. « On a connu ce phénomène lors des élargissements successifs de l’UE. Les bonnes intentions ne se sont pas traduites par des faits sur le terrain. Encore aujourd’hui, le manque de perspective en raison d’un État corrompu fait fuir de nombreux citoyens des Balkans », souligne Senadà Šelo Šabic.
Un autre enjeu majeur reste la conciliation entre les pays de la région, 20 ans après la fin de la guerre des Balkans. « Une des clés est de mettre en contact et unir les jeunes de la région », met en avant l’ambassadeur allemand Robert Klinke. L’UE se veut plus technocrate : « Il convient de consacrer des efforts supplémentaires et décisifs à la réconciliation et à la stabilité régionale ainsi qu’à la recherche et à la mise en œuvre de solutions définitives, inclusives et contraignantes aux questions et différends bilatéraux des partenaires, hérités du passé. »
David Marques
Lutte contre la corruption : les candidats n’excellent pas
La lutte contre la corruption constitue un des défis majeurs pour les six pays des Balkans ambitionnant d’intégrer l’Union européenne. Le dernier rapport de l’ONG Transparency international sur la perception de la corruption n’est pas tendre avec les différents candidats. Le Monténégro s’en sort le mieux avec une 66e place sur 198 pays recensés par l’indice de Transparency international. Il s’agit aussi du seul pays candidat à l’UE à avoir gagné une place. Les cinq autres ont laissé des plumes. On retrouve ainsi la Serbie en 91e position (-4 places), la BosnieHerzégovine (-12) et le Kosovo (-8) à la 101e place et, pour finir, la Macédoine du Nord (-13) et l’Albanie (-7) qui se partagent le 106e rang.
La Croatie n’est pas exempte de tout reproche
Dernier pays à avoir intégré l’Union européenne, la Croatie a certes fait d’importantes avancées en matière de respect de l’état de droit. Sept ans après son adhésion, le pays des Balkans a cependant encore du pain sur la planche, comme le souligne le récent rapport de la Commission européenne sur l’état de droit.
« En Croatie, la faiblesse des capacités administratives entrave la capacité du Conseil national de la magistrature et du Conseil du procureur général à remplir leur mandat, leur rôle dans la nomination des juges et des procureurs ayant été réduit et un système informatique mis à jour pour la vérification des déclarations de patrimoine faisant défaut », note ainsi le rapport publié mercredi dernier. Autre point négatif : « Les efforts déployés par les services spécialisés de lutte contre la corruption sont freinés par le manque d’enquêteurs spécialisés et l’inefficacité du système judiciaire étant donné que la durée des procédures judiciaires et des recours empêche souvent de clôturer les affaires, notamment celles impliquant des hauts fonctionnaires ».
«On se trouve engagés dans un processus»
Par contre, la Croatie est citée parmi les États membres dans lesquels « existe un environnement favorable et porteur pour la société civile ». « Le gouvernement est sur le point d’adopter un Plan national visant à améliorer le système de soutien juridique, financier et institutionnel aux activités des organisations de la société civile », détaille le rapport de la Commission européenne.
« Nous n’avons certainement pas atteint tous nos objectifs. On se trouve toujours engagés dans un processus. Le rapport de la Commission européenne nous permet d’apprendre beaucoup de choses sur notre système démocratique », note Andreja Metelko-Zgombic, secrétaire d’État pour les Affaires européennes. La Croatie ne se sentirait pas visée par Bruxelles. « Cela nous incite à continuer de nous engager sur la voie de l’amélioration des principes démocratiques », conclut la secrétaire d’État.
D.M