Les forces spéciales belges ont espéré débusquer, hier matin, Salah Abdeslam dans un appartement de l’agglomération bruxelloise. À Molenbeek, terreau du radicalisme. Là où a grandi le cerveau possible des attentats parisiens.
La traque continue. Salah Abdeslam échappe encore aux enquêteurs et spécialistes de l’antiterrorisme. Samedi matin, il s’est bien fait contrôler à Cambrai mais, inconnu des services, il a quitté le contrôle de gendarmerie sans être inquiété. Depuis la chasse à l’homme s’intensifie. En France comme en Belgique. Suspecté d’être le 8e homme de la colonne djihadiste à l’origine du carnage parisien vendredi, le jeune homme de 26 ans ne se trouvait pas dans l’appartement pris d’assaut hier matin à Molenbeek, quartier de la région bruxelloise.
«Les réseaux se nourrissent de la détresse»
Dans cette affaire, tout ramène à cette commune. « Voilà, on va encore parler de nous… » Ce vieil homme se tient à distance du cordon de sécurité qui barre l’entrée de la rue Delaunoy, où une centaine de policiers a pris position, autour d’un immeuble en briques. Il jette des regards furtifs sur l’évolution de l’opération et peste. « C’est un mauvais coup pour la ville », dit-il. Molenbeek et ses 96 000 habitants sont pointés du doigt depuis une vingtaine d’années à travers les affaires de terrorisme. Mehdi Nemmouche (attaque du musée juif de Bruxelles) et Ayoub El Khazzani (Thalys) y ont séjourné. Les Kouachi et Amédi Coulibaly s’y sont armés avant les attentats contre Charlie Hebdo. Comme s’il s’agissait d’une fabrique à terroristes. Pour sûr, une base arrière.
Français, Salah Abdeslam a grandi dans ce quartier avec quatre frères et sœurs. Lui et Brahim, son grand frère qui s’est fait exploser vendredi boulevard Voltaire, avaient rompu les liens avec les autres membres de la famille.
Placé en garde à vue, un troisième frère a été relâché hier. Sans que la justice ne retienne « quoi que ce soit contre mon client, a certifié son avocate, Me Gallant. Mon client avait fait un autre choix de vie. » A la sortie de sa garde à vue, Mohamed Abdeslam a indiqué au sujet de ces frères : « Je n’ai jamais rien remarqué. Ils sont normaux. Concernant Salah, on ne sait pas où il est. Il n’a pas encore été entendu. Peut-être qu’il a peur de se présenter à la justice. »
Le casier judiciaire de Brahim, 31 ans, raconte un petit délinquant se livrant au trafic de stupéfiants. Il a tenu un bar, « Les Beguines », fermé le 4 novembre. L’arrêté municipal évoque une trop grande consommation de cannabis… Abdeslam, lui, « est un de ses garçons dont se nourrissent les réseaux, décrypte un éducateur du quartier. Le terreau est fertile en jeunes fragilisés. Il faut regarde la situation en face : en primaire, on s’occupe d’eux. Il y a l’école, les parents. Mais après, en secondaire, ils sont livrés à eux-mêmes. »
Seuls dans une commune bruxelloise où le communautarisme alimente l’exclusion sociale. « On s’étonne de cette situation ? Qui a parqué tous les étrangers à Molenbeek ? », s’énerve une maman d’origine congolaise. « La commune abrite 22 mosquées. Mais ce n’est pas là que ces réseaux recrutent. Il faut arrêter de croire ça. Il n’est pas question de religion ici mais de détresse sociale », réagit un jeune homme de 20 ans.
Il a vu un de ses amis partir en Syrie. « Il a été récupéré par ses grands frères qui lui ont menti sur la maladie de leur mère. Il est revenu, lui. Et se trouve maintenant surveillé par la police. Il a eu de la chance. Pourtant je vous assure que Molenbeek, ce n’est pas que ça. Des choses sont faites pour nous les jeunes. Il y a de la créativité. La diversité, c’est une richesse. Mais aujourd‘hui, on en a fait un boulet… »
Kevin Grethen (Républicain Lorrain)