Rayan Assani a huit ans et ignore tout ou presque de la Syrie, où elle n’a pas grandi, mais dans quelques minutes la fillette aux longs cheveux noirs en franchira la frontière, son cartable Barbie sur le dos, direction Alep.
Ça va être joli», dit-elle en arabe d’une voix à peine audible, un cache-oreilles rose à la main dans l’agitation du poste-frontière turc de Cilvegözü, où des dizaines d’enfants, comme elle, s’apprêtent à gagner la Syrie avec leurs parents, à la faveur de la chute de Bachar al-Assad.
«Notre père nous a dit que la guerre était finie et que nous allions rentrer à Alep. C’est tout», résume sa sœur aînée, Merve, 17 ans, qui confie avoir «beaucoup pleuré» mercredi en quittant en bus Istanbul, où la famille Assani avait trouvé refuge en 2012, loin de la guerre. Derrière les deux sœurs, le ciel est bas et rien de ce qui les attend en Syrie n’est visible à l’horizon.
À quelques mètres de là, un homme porte d’un bras son jeune fils, bouche couverte de chocolat et drapeau turc noué en cape. «C’est pour remercier la Turquie pour son accueil», lâche le père, pressé de filer avec son fils et son épouse vers Damas, d’où ils sont originaires comme beaucoup des trois millions de Syriens réfugiés sur le sol turc.
«Bisou sur la joue»
Dans la longue file formée depuis l’aube, Mumina Hamid, grand manteau noir et tête coiffée d’un foulard rose, veille seule sur ses deux jumeaux. Husam et Wael, six ans, sont allés une dernière fois chez le coiffeur avant de quitter Istanbul. Ils ont les mêmes tempes rasées et chacun un paquet de biscuits dans leurs cartables Spiderman.
«La Syrie est plus grande qu’Istanbul», croit savoir Wael, qui espère aussi qu’il y aura des chats à Hama, leur destination finale, dans le centre de la Syrie.
Qu’est-ce qui lui manquera d’Istanbul? «Mes copains», répond-il. «Et ma maîtresse», ajoute-t-il en regardant sa mère. Son frère Husam avait lui une amoureuse… en guise d’au revoir, «je lui ai fait un bisou sur la joue», lui fait confesser sa mère.
«Livre de turc»
Les Hidir sont aussi là en famille. Ils souhaitent rallier Idleb, à quarante minutes de voiture une fois la frontière passée. «Ce sera mieux que la Turquie», dit Leyla, 12 ans, bonnet noir enfoncé jusqu’aux oreilles, sans avoir l’air de trop y croire.
Elle aussi ne sait pas bien à quoi ressemblera la Syrie, qu’elle a quittée dans les bras de sa mère, Nada, lorsqu’elle avait six mois, et vers laquelle elle tire une grosse valise noire qui a fait son temps.
Ses deux petites sœurs, en Crocs roses malgré l’hiver, sont nées en Turquie. Aucune n’a avec elle de jouets ou de doudous.
«Leur père les apportera quand il nous rejoindra, dans quelques mois si Dieu le veut», assure la mère. «Pour le moment, il reste travailler en Turquie.»
Qu’est-ce que recèle le cartable de sa fille Leyla? «J’ai mon livre de turc», dit-elle timidement. «Et un coran», ajoute la mère. Sa fille lit-elle seulement l’arabe? «Un peu», répond Leyla, qui ne sait pas précisément quand elle commencera l’école en Syrie.
Mercredi, à Istanbul, elle n’a pas dit à ses camarades que c’était son dernier jour. «J’étais très triste, mais je ne voulais pas qu’ils soient tristes aussi.»