Des centaines d’élus locaux et des associations qui jettent l’éponge, des citoyens qui n’osent plus s’engager… La société civile hongkongaise se meurt à petit feu à mesure que Pékin resserre l’étau.
Quelques jours avant que la Chine n’impose il y a un an à sa région semi-autonome une loi drastique sur la sécurité nationale pour accélérer sa reprise en main, Wong Yat-chin crée un mouvement étudiant, Student Politicism. On est quelques mois après l’immense mobilisation populaire de 2019. Il vient de terminer ses examens et entend être une voix d’opposition dans un territoire où la liberté de parole est toujours, sur le papier, garantie. Son idée est de promouvoir le débat sur la démocratie ou sur les droits des prisonniers au moyen de stands éphémères dans la rue, comme on en voyait souvent avant la pandémie.
Depuis, il a été arrêté cinq fois. « Chaque jour, la ligne rouge se rapproche », confie ce garçon de 20 ans. Il explique que certains lieux où il comptait installer son stand l’ont gentiment invité à ne pas le faire, expliquant que la police leur avait expressément rappelé les restrictions décidées contre la pandémie. « Même les voix les plus pacifiques et rationnelles ne sont plus autorisées. Et beaucoup d’organisations se dissolvent elles-mêmes », déplore-t-il. La société civile, selon lui, est « en train de se recroqueviller et de dépérir ».
Malgré le triomphe électoral de l’opposition
C’est la conséquence d’une implacable stratégie en deux temps de Pékin pour écraser la dissidence, alors que les élections locales de la fin 2019 avaient été marquées par un quasi grand chelem de l’opposition pro-démocratie dans les conseils de district. Il y a d’abord eu la loi sur la sécurité nationale, en vertu de laquelle plus de 120 personnes ont été arrêtées, presque toutes pour leurs opinions politiques. Puis il y a cette campagne en cours des autorités locales, nommée « Hong Kong dirigé par les patriotes ». Le but ? Vérifier la loyauté des fonctionnaires et élus locaux.
À l’heure actuelle, la plupart des chefs de file de la mouvance pro-démocratie sont soit en prison, soit visés par une enquête judiciaire, soit en exil. Plus de 250 conseillers de districts ont préféré démissionner plutôt que de devoir se plier au test de loyauté, s’évitant ainsi des ennuis avec les autorités. Les conseils de districts étaient les seules assemblées totalement élues au suffrage universel.
Les démissions se sont multipliées ces dernières semaines quand des sources officielles ont laissé entendre que les élus disqualifiés pour « déloyauté » pourraient devoir rembourser leurs notes de frais…
Lo Kin-hei, président du Parti démocrate, l’un des plus grands et des plus anciens partis d’opposition, compte parmi les démissionnaires. « La répression, par son ampleur et sa vitesse d’exécution, a dépassé tout ce que l’on pouvait imaginer, nous laissant tous abasourdis un an après », constate-t-il.
Pendant les deux décennies qui ont suivi la rétrocession en 1997, et conformément au principe « Un pays, deux systèmes », dissidence et pluralisme politique ont été tolérés à Hong Kong, ce qui contrastait totalement avec le reste de la Chine. Désormais, « nous sommes au point le plus bas en trente ans », observe Lo Kin-hei.
« Rappeler qu’il y a quelqu’un qui n’a pas baissé les bras »
Et l’hécatombe ne touche pas que le monde politique. Des associations modérées et des syndicats de médecins, d’avocats ou de fonctionnaires se sont aussi dissous au cours de l’année écoulée. Pas moins de trente organisations qui ont mis la clé sous la porte, ou cessé de communiquer publiquement ces douze derniers mois.
L’un des plus grands syndicats de médecins, l’Association des médecins du public, envisage également d’arrêter, selon son ancienne présidente Arisina Ma, déplorant « la perte d’espace pour s’exprimer et l’absence d’impact ». « C’est vraiment devenu dangereux », dit-elle. « Avant, si le gouvernement n’aimait pas vos prises de position, il vous ignorait. Mais maintenant il peut lancer des poursuites. » Nombre de diplomates étrangers déplorent eux aussi que beaucoup de Hongkongais refusent de les rencontrer, de crainte de se voir accuser de « collusion avec les forces étrangères ».
Le Conseil législatif, le parlement de Hong Kong, ne compte plus aucun député d’opposition. Tous les futurs élus devront prouver leur loyauté, sachant que, de toute façon, moins du quart de l’assemblée sera élu au suffrage universel.
Wong Yat-chin ne cache pas qu’il se sent souvent gagné par le pessimisme et un sentiment d’impuissance. Mais il continuera de dresser son stand dans la rue, « pour rappeler aux autres qu’il y a quelqu’un qui n’a pas baissé les bras ».
LQ/AFP