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En Guadeloupe, la boue a remplacé l’asphalte

La couche de boue, épaisse, recouvre encore une partie des rues du bourg de Capesterre-Belle-Eau, en Guadeloupe, dévastée samedi par le passage de la tempête Fiona. Une route y est tombée d’une dizaine de mètres, entraînant la terrasse d’une maison.

Partout, cette tempête tropicale a laissé son empreinte : dans le lit des rivières, désormais élargi de plusieurs mètres, dans la couleur de la mer, qui a troqué son turquoise contre une teinte marron, le long des routes et jusque dans les bananeraies autour des villes, dont des pans entiers ont été couchés par le vent.

Située au sud est de l’île de Basse-Terre, Capesterre-Belle-Eau est l’une des plus grandes communes de Guadeloupe – avec 17.741 habitants (en 2019) – prisée des touristes pour ses cascades, les plus hautes de Guadeloupe, et ses rivières.

Mais en quelques heures, dans la nuit de vendredi à samedi, les petits ruisseaux contenus dans les ravines ont tout ravagé sur leur passage en grossissant sous les assauts de la tempête qui a déversé par endroit plus de 500 mm d’eau. Un des « cumuls de pluie très impressionnants », selon le Centre météorologique de Guadeloupe, relevés depuis le début de l’épisode vendredi.

Dans une petite ruelle, en face de l’ancienne usine sucrière du Marquisat, la route est tombée 12 mètres plus bas, entraînant la terrasse d’une des maisons surplombant la ravine.

« Dans la nuit on a entendu un gros bruit mais on a cru que c’était le tonnerre », raconte le locataire de la maison, Mathias Virgnaud. « Le matin, en se levant, on a tout de suite vu la boue dans la maison, la terrasse détruite, et surtout, on entendait le grondement de l’eau ».

« Rare intensité »

Un peu secoués, cet électricien de 42 ans, sa femme et leurs trois enfants ont décidé de déménager : la maison ne repose plus que sur un monticule de terre, et « il suffirait d’un autre épisode pluvieux pour la faire tomber », s’inquiètent-ils.

Autour de chez eux, les badauds s’attroupent de part et d’autre de la route, encore impressionnés par la puissance du phénomène tropical.

Certains sinistrés sont partis trouver refuge ailleurs. D’autres sortent de leur maison, brouettes de boue et de détritus à la main. Le visage fatigué, parfois fermé. « Mes voisins d’en face ne sont pas encore revenus, tout était chamboulé chez eux, ils ont eu près de 2 m d’eau », raconte Marcelle Alexandre, 50 ans, intendante.

Plus bas, sur le front de mer, le village artisanal a été touché. Une des petites maisons, emportée par l’eau, s’est écrasée en contrebas de la route, où passent des enfants en vélo tentant de ne pas glisser sur la boue.

« Il y a certains endroits où il faudra des gros travaux, consolider, conforter, tout refaire », souligne un agent de la commune, Dany Dabricot, comptant sur la déclaration de l’état de catastrophe naturelle, qui devrait être reconnu en fin de semaine selon le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.

Frantz Francillette, patron d’un salon de tatouage, achève le nettoyage de son local, aidé par des « amis », sans savoir quand il rouvrira.

Tout le monde commente les événements de la veille : le bruit assourdissant de la pluie sur la tôle des toits, la peur face à l’eau qui envahissait les rues et les habitations, la sidération le lendemain devant les images sur les réseaux sociaux.

Jack Sainsily, directeur du Conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement de Guadeloupe, est venu constater l’étendue des dégâts. « Même si on était dans un événement d’une rare intensité, on a construit des logements dans des zones proches de rivières qui ont toujours débordé, déplore-t-il. Je crois qu’on a oublié qu’on vit en zone tropicale et les connaissances traditionnelles d’urbanisme ».

Et, citant des zones comme les Grands Fonds (dans l’arrière-pays), en Grande Terre (aile est de la Guadeloupe), il ajoute : « Le risque de glissement de terrain existe partout en Guadeloupe ». Même sans pluie.