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À 60 ans, l’Union européenne en pleine « crise existentielle »


Le but: "développer l'esprit européen à la frontière" et les langues. (photo: dr)

L’idéal de paix est toujours au « frontispice » de l’Union européenne mais ses crises à répétition font penser à « la fin du Saint-Empire », avertissent des experts. À 60 ans, l’UE, engagée dans un divorce inédit avec le Royaume-Uni, cherche à rebondir.

« Le projet européen n’a jamais paru aussi éloigné du peuple qu’aujourd’hui », constate le président du Parlement européen Antonio Tajani, à la veille de la célébration à Rome du 60e anniversaire du Traité fondateur de l’UE.

2017 est l’année de tous les dangers: l’Union devra faire front pour négocier la rupture avec Londres et endiguer la montée des partis xénophobes et europhobes qui espèrent progresser comme jamais aux prochains scrutins en France et en Allemagne.

L’adage de Jean Monnet, un des pères fondateurs de l’Union, selon lequel « l’Europe se ferait dans les crises, et qu’elle serait la somme des solutions qu’on apporterait à ces crises », a longtemps été le mantra des dirigeants et fonctionnaires européens.

Mais aujourd’hui, plus personne à Bruxelles ne se risque à une telle prévision. « Ce qui a changé, c’est qu’on n’affronte pas une seule crise importante, mais une multiplicité de crises très graves et compliquées », explique Stefan Lehne, chercheur associé du centre de réflexion Carnegie Europe. « Nous ne pouvons plus garantir que l’Union européenne émergera de ces crises en 2017 et 2018 ».

Aucun répit

L’UE survivra, au moins comme marché unique, grâce aux « puissantes logiques économiques qui le fondent », estime l’ex-diplomate autrichien. Mais il confie penser parfois au « Saint-Empire romain germanique qui a continué d’exister plusieurs siècles après qu’il fut mort politiquement ».

Politique de la chaise vide du général de Gaulle en 1965-1966, adhésion tardive du Royaume-Uni, dans les années 1970, sur fond de choc pétrolier et de crise monétaire, l’UE en a connu d’autres, rappelle Frédéric Allemand, chercheur en études européennes à l’université du Luxembourg.

« Mais les crises qu’on rencontre aujourd’hui interrogent le sens profond du projet européen », juge-t-il. « Évidemment, la paix est toujours au frontispice, mais au-delà, quel modèle économique et social voulons-nous en Europe? »

Depuis une décennie, cette « belle idée » née sur les décombres de la Seconde Guerre mondiale n’a guère connu de répit.

Le chômage y reste élevé et la croissance timide, conséquences de la crise financière de 2007-2008, puis des crises de la dette des pays du sud auxquelles Bruxelles a répondu par des cures d’austérité très impopulaires. En 2015, la Grèce a même failli sortir de la zone euro.

Les Européens n’ont pas réussi à faire cesser la tragédie syrienne, ni le conflit en Ukraine, source de graves tensions avec la Russie de Vladimir Poutine. Partout, les attentats jihadistes ont radicalement changé l’environnement sécuritaire.

L’arrivée d’1,4 million de migrants en 2015 et 2016 par la Méditerranée a encore creusé les failles, certains pays, comme la Hongrie de Victor Orban, érigeant des barbelés, à l’opposé de l’Allemagne qui leur a d’abord ouvert les bras.

« Fragmentation »

« Jamais encore, je n’avais vu une telle fragmentation et aussi peu de convergence dans notre Union », a reconnu le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, décrivant une Europe en « crise existentielle ».

Dans ce contexte, les négociations du Brexit qui devraient s’ouvrir en mai peuvent donner l’impression que l’Union ne tient plus qu’à un fil.

Mais, assurent les experts, l’horizon pourrait aussi s’éclaircir si les élections françaises au printemps et allemandes en septembre font émerger des dirigeants capables de galvaniser à nouveau le projet européen.

Quitte à acter une « Europe à plusieurs vitesses » où les plus volontaires iront de l’avant par petits groupes sur des sujets comme l’euro et la défense, désormais une priorité face au risque de repli des Etats-Unis de Donald Trump.

S’il va être difficile de rebondir, revenir en arrière est exclu, selon Hendrik Vos, politologue à l’université de Gand.

« Les dirigeants de tous les Etats membres réalisent bien que ce qui a été construit ces 60 dernières années – le marché unique, l’espace Schengen, la zone euro – a permis le niveau de vie élevé que nous avons aujourd’hui en Europe », relève-t-il.

A condition de regagner la faveur de l’opinion publique, dont les sondages pointent un désamour croissant, prévient Iain Begg, professeur à la London School of Economics (LSE).

L’Europe a déjà trop dilapidé son « capital politique » et « s’il se dégrade trop, cela peut arriver à un point où c’est vraiment la fin », avertit-il.

Le Quotidien / AFP