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Yann Arthus-Bertrand au Luxembourg : « Il est trop tard pour être pessimiste »


Le photographe et activiste écologiste Yann Arthus-Bertrand expose à la BEI, au Kirchberg, sur le thème de l'eau (Photo : Julien Garroy).

 Le célèbre photographe et réalisateur français Yann Arthus-Bertrand expose quelques-unes de ses photographies à la BEI, avec un objectif : encore et toujours alerter sur la situation de notre planète.

Pourquoi avoir accepté de faire cette exposition à la BEI ?
Yann Arthus-Bertrand : Dès que je peux faire des expositions engagées, qui ont du sens, j’essaie de le faire. Je suis photographe et activiste. J’essaie au travers de mes photos et mes films d’amener à une prise de conscience de ce qui se passe aujourd’hui. J’ai proposé de faire cette expo avec mon copain Philippe Bourseiller, qui travaille sur l’eau depuis très longtemps. On se complète bien : je suis plus un photographe aérien et lui travaille plus au sol, en macro. Et puis, c’est bien de parler du changement climatique ici, au Luxembourg, qui est le temple du capitalisme. Car ce capitalisme-là, notre manière de vivre, cette religion de la croissance dont on profite tous, sont en train de détruire le monde. Le Luxembourg, avec le Qatar, a la plus grosse empreinte écologique au monde.

C’est bien de parler du changement climatique ici, au Luxembourg, qui est le temple du capitalisme

C’est donc un défi de venir exposer au Luxembourg?
Pas du tout. Le Grand-Duc, que je dois rencontrer, est d’ailleurs très sensible à l’écologie et à l’environnement. On échange régulièrement à ce propos. Il n’y a pas d’un côté les méchants banquiers et de l’autre les gentils écolos. Mais c’est vrai que les banquiers ont une responsabilité énorme, car ils peuvent changer le monde, ils en ont les moyens. Il faut que nous avancions ensemble, main dans la main, avec les banquiers, les industriels…

 

Extrait de l'exposition à la BEI ( Photo Julien Garroy).

Extrait de l’exposition à la BEI ( Photo Julien Garroy).

Êtes-vous optimiste quant à notre capacité à stopper le dérèglement climatique?
Il est trop tard pour être pessimiste. Aujourd’hui, on a besoin d’action. Quand on travaillait sur les lions avec Anne (NDLR : sa femme), ils étaient 400 000. Aujourd’hui, ils sont 20 000! On estime que les éléphants étaient 20 millions au début du siècle dernier, ils sont 350 000 aujourd’hui et on en perd 10 % tous les ans. On parle de la « disparition inévitable » des éléphants. Ça veut dire qu’on a accepté que les éléphants vont disparaître!

On ne peut pas remplacer par des panneaux solaires ou des éoliennes nos 95 millions de barils de pétrole journaliers

Mais c’est compliqué de lutter contre le changement climatique tout en préservant notre confort. On a besoin d’une vraie révolution. Elle ne sera pas politique, parce qu’on a les hommes politiques qu’on mérite. L’homme politique aujourd’hui n’a qu’une vision électorale, son Graal c’est de préserver l’emploi, d’annoncer le point de croissance. Ce ne sera pas non plus une révolution scientifique parce qu’on ne peut pas remplacer par des panneaux solaires ou des éoliennes les 95 millions de barils de pétrole qu’on dépense chaque jour. Et ce ne sera clairement pas une révolution économique… Je pense qu’il faut une révolution spirituelle. Est-ce que moi en tant qu’homme, je peux vivre mieux avec moins? Être plus en ayant moins?
Mais on est en contradiction, moi le premier. J’arrive de Tahiti, où je suis allé tourner pour mon prochain film, Woman. J’ai dépensé 1 200 litres de pétrole pour y aller. Est-ce que je n’aurais pas pu le faire par Skype? Je m’interroge. On a envie de faire attention à nos petits-enfants et d’un autre côté on continue à vivre de la même façon, en sachant que ce n’est pas bien. Il y a une espèce de non-sens.
Je viens de faire un livre avec le pape, qui est un jésuite altermondialiste (Laudato Si’, éd. Première Partie). Le pape parle de la conscience amoureuse. Je ne crois pas en Dieu mais ces valeurs chrétiennes de compassion, d’empathie, sont essentielles. Il ne faut pas attendre sur les politiques ou les lobbys, surtout ici dans ce pays.

En décembre se tiendra la COP24 en Pologne, cela pourrait-il changer la donne?
Les énergies fossiles sont responsables du changement climatique. On le sait tous. Mais c’est aussi le sang de notre croissance. Sans elles, le monde s’arrête. On est incapable de réguler leur exploitation. Dans l’accord de la COP21, les termes « énergie fossile » et « charbon » ne figurent même pas, sinon les pays producteurs n’auraient pas signé. C’est tellement hypocrite! Il y a bien évidemment des pays en voie de développement qui ont besoin de pétrole. Mais nous on vit dans une espèce de gabegie.
La prochaine COP va avoir lieu en Pologne, où 90 % de l’énergie provient du charbon. Quelque 50 000 personnes meurent chaque année à cause des émissions dues au charbon. Comment on va pouvoir parler? Et tout le monde va venir en avion, va consommer de la viande…
Le GIEC qui a sorti son rapport la semaine passée, réfléchissait sur les conséquences d’une augmentation de 1,5 à 2 °C. Mais aujourd’hui, on parle d’une augmentation de 4 à 6 °C à la fin du siècle! Ce sont des rapports complètement mous. Bien sûr, c’est une bonne chose qu’ils existent et qu’on en parle.

WWF estime qu’on a perdu 70 % du vivant en 40 ans. C’est incroyable !

Photo : Yann Arthus-Bertrand.

Photo : Yann Arthus-Bertrand.

Quelles sont les solutions?
Au moins prendre conscience et réfléchir à la situation. Le changement climatique est là, il va donc aussi falloir qu’on apprenne à vivre ensemble, accepter d’accueillir plus de réfugiés.
Dans son rapport officiel, le WWF estime qu’on a perdu 70 % du vivant en 40 ans. C’est incroyable! C’est pour cela que j’encourage aussi à ne plus manger de la viande industrielle, elle détruit la planète. On déforeste pour faire du soja qui servira à nourrir les bêtes, sans parler de la souffrance animale. C’est un cercle absolument pas vertueux. Par contre, il faut continuer à manger de la viande pour les paysans qui font bien leur boulot et être prêt à payer plus cher. Et puis, on vit dans ce monde de gâchis. On ne fait plus attention : 30 % de la nourriture est jetée. A-t-on besoin d’avoir 100 marques de sauces tomate différentes? On nous explique qu’on n’est heureux que si on achète. En fin de compte, on passe notre vie à travailler pour acheter. Il faut prendre conscience de tout ça.

Faut-il tout miser sur l’éducation?
Je trouve que c’est reporter le problème alors qu’il y a une urgence et miser sur les autres pour faire ce qu’on ne veut pas faire. Mais en même temps c’est vrai que les jeunes d’aujourd’hui ont pris conscience des problèmes. Mon dernier fils par exemple, est végane et maraîcher. Je suis admiratif, quelquefois envieux, il a pris conscience de ce que c’est qu’être un homme sur la Terre, à quoi ça sert et qu’est-ce qu’on peut faire. Ça donne de l’espoir. Mais qu’est-ce qu’il représente? Rien du tout!
Al Gore était le premier à parler du changement climatique, il y a quinze ans. À l’époque, je m’étais dit « on va tous changer ». Mais on n’a rien changé du tout. On est incapable d’arrêter ce monde en marche, qui est là pour avoir plus, construire… Et si nous, les pays riches on n’est pas capables de donner l’exemple, comment tu veux donner l’exemple aux pays en voie de développement? Ce monde-là me sidère.
Et puis, il y a un manque de courage politique. Pas un manque d’argent. Je pense que ce ne serait pas très difficile pour les villes et l’Éducation nationale de décider que dans cinq ans tout serait bio. Si tout le monde mangeait bio, il n’y aurait pas de Monsanto.
Je ne sais pas ce qu’il faut faire. Je suis quelqu’un qui essaie de convaincre. Et moi-même, dans ma vie personnelle, je réfléchis. Je ne suis pas forcément un bon exemple.

Entretien avec Tatiana Salvan