D’ici à la fin de l’année prochaine, les vignerons européens vont devoir inscrire les informations nutritionnelles standards sur leurs étiquettes. Pas un cadeau pour les Luxembourgeois…
Début février, les concepteurs (français) du Nutri-score ont proposé à l’Agence nationale de santé publique française (Santé Public France) de créer une nouvelle case pour ce symbole qui classe les produits alimentaires en fonction de leur valeur nutritionnelle.
Le Programme national nutrition santé français appelle en effet de ses vœux la création d’une catégorie F, plus large et de couleur noire, applicable sur toutes les boissons alcoolisées. Jusqu’à présent, les vins et les alcools titrant plus de 1,2 ° d’alcool produit grâce à un ingrédient principal (fruits ou céréales) n’ont pas à arborer ce symbole.
Or si le Nutri-score, mis au point en 2017, est d’abord une invention française, ce système qui classe les aliments de A à E a passé les frontières depuis.
Un règlement grand-ducal du 7 mai 2021 en a codifié l’utilisation au Luxembourg et le curseur coloré est désormais aussi utilisé en Belgique, en Allemagne ainsi que dans de nombreux autres pays de l’Union européenne.
Cela fait des années que l’exemption de l’inscription des valeurs nutritionnelles et des ingrédients sur les alcools fait rager le lobby de la santé, particulièrement efficace dans les sphères européennes. S’il est souvent bien intentionné, on y trouve aussi un groupe rassemblant ce que l’on pourrait qualifier d’extrémistes de la santé : les hygiénistes.
Pour eux, par exemple, la dangerosité d’une consommation excessive de vin est telle qu’il faut tout faire en dissuader la consommation dès le premier verre. Outre que les résultats des études menant à cette conclusion définitive sont largement discutés au sein de la communauté scientifique, il réduit le vin à ces seules molécules d’alcool, lui amputant toute sa dimension culturelle, civilisationnelle même.
Les calories sur la bouteille
La filière viticole, forcément, est vent debout contre ces mesures radicales qui dénigrent et menace son activité, fruit d’un savoir-faire bâti sur une expérience plusieurs fois millénaires. Ainsi, le gouvernement et les vignerons italiens ont interpellé le président français, Emmanuel Macron : «Je voudrais savoir ce qu’il pense de la dernière proposition avancée par les concepteurs du Nutri-score, qui suggèrent maintenant d’apposer un F noir sur toutes les boissons qui contiennent une quantité même minime d’alcool. Le président français est d’accord ?», s’est interrogé le secrétaire d’État à l’Agriculture, Gian Marco Centinaio, le 5 février dernier.
De son côté, la confédération agricole italienne Confagricoltura a dénoncé «un étiquetage inacceptable de produits de qualité qui contribuent aussi à la qualité de la vie». L’Italie, premier producteur mondial en volume devant l’Espagne et la France, craint que cette initiative, si elle avait lieu, se transforme en norme européenne.
Depuis, aucune réponse (ni positive, ni négative) n’a été donnée à la requête des inventeurs du Nutri-score.
La question du Nutri-score n’est d’ailleurs pas le seul sujet qui fâche à propos des contre-étiquettes (au dos de la bouteille). L’échelle de la réglementation tend à devenir européenne plutôt que nationale et il faudra s’y adapter. La différence sera sensible au Luxembourg, où la législation est peu contraignante.
L’inscription des calories sera particulièrement ardue pour les vignerons du pays, qui proposent tous au moins une cuvée de chaque cépage (rivaner, pinot blanc, pinot gris, auxerrois, riesling, chardonnay, pinot noir…), une de chaque couleur (blanc, rouge, rosé) et une gamme de crémants (blanc, rosé, monocépage, millésimé…).
Chacune de ces bouteilles devra porter les informations nutritionnelles précises, ce qui imposent d’imprimer des contre-étiquettes différentes, y compris lorsque la production ne comporte que quelques milliers de bouteilles. Cette nouvelle tâche sera assez colossale pour le plus gros producteur du pays, Vinsmoselle, qui propose une centaine de crus et crémants différents. Heureux les châteaux bordelais avec leurs deux, voire trois cuvées!
«Les vignerons devront s’adapter et ce ne sera pas forcément facile»
Aender Mehlen est le contrôleur des vins de l’Institut viti-vinicole, basé à Remich. C’est lui qui s’assure que les producteurs respectent les réglementations qui régissent la production et l’étiquetage des vins. Il est en outre le représentant luxembourgeois au comité «Vin» de la Commission européenne, l’antichambre de l’élaboration des lois.
On parle depuis plusieurs années de l’apparition des calories sur les étiquettes des vins européens. Où en est-on?
Aender Mehlen : Il est prévu qu’à la fin de l’année prochaine, les vignerons devront imprimer les calories de chaque vin sur leurs bouteilles. Les ingrédients, eux, pourront être consultés off-label, c’est-à-dire sur un site internet accessible grâce à un QR code.
Ce matin (NDLR : vendredi), je viens d’ailleurs de recevoir un questionnaire de la part de la Commission européenne sur la façon dont les différents États perçoivent le fait d’inscrire les dates limites de consommation sur les aliments. Cela concerne tout le secteur alimentaire, pas uniquement le vin, mais cela montre que ce sujet de l’étiquetage est très actuel.
Les vins tributaires de l’AOP Moselle luxembourgeois portent déjà un QR code qui permet de trouver la moyenne des calories par cépages pour 100 ml. Le pays a l’air d’être plutôt en avance sur la question, non?
Oui, le QR code est apparu en 2020. Il ne s’agit pas d’une obligation européenne, mais la Commission a autorisé cette initiative. Par contre, ce QR code ne répondra pas aux critères prévus pour l’année prochaine car, avec notre système, il faudrait inscrire le n° AOP de la cuvée pour accéder à la liste précise des ingrédients de la cuvée. Or le futur règlement imposera sûrement que ces informations apparaissent directement à l’écran.
À part le raisin, les autres ingrédients se trouvent en très petites quantités – voire infinitésimales – dans le vin. Ces analyses promettent une logistique compliquée pour les producteurs…
Effectivement, on parle d’ingrédients et d’auxiliaires techniques. Les auxiliaires techniques sont ces substances qui entrent dans le processus d’élaboration du vin, mais qui disparaissent à la fin. Les vignerons n’auront pas à les documenter, contrairement aux ingrédients.
Par contre, si un producteur ajoute du sucre et que le vin comporte du sucre résiduel, même en petite quantité, il devra le noter. Compter les calories sera le plus simple puisqu’on peut les calculer en fonction de la quantité de sucre et d’alcool.
Le Luxembourg est épargné par les débats houleux entre le lobby sanitaire et le lobby viticole. Dans quel état d’esprit se déroulent ces discussions?
Les relations sont très bonnes avec le ministère de la Santé, mais je dois dire que ces questions sont restées en suspens depuis le début de la pandémie. Il y avait des affaires plus urgentes à régler… Mais nous les relancerons certainement très bientôt. Les vignerons devront s’adapter à ces nouvelles règles et ce ne sera pas forcément facile, c’est sûr.
Les domaines qui exportent sont souvent en avance à ce niveau-là. Certains inscrivent déjà le logo français de la femme enceinte sur les bouteilles alors qu’ils ne sont pas obligés. Les vins étrangers ne sont pas tenus de la mettre, même s’ils sont vendus en France. Nous montrons déjà notre bonne volonté.
Les vins luxembourgeois à la Cité du vin de Bordeaux
Aender Mehlen était ces derniers jours à Bordeaux, où la Cité du vin l’a convié à animer deux afterworks visant à présenter les vins luxembourgeois au grand public. Il a également proposé une formation au personnel de cet espace magnifique aux spécificités de la production grand-ducale.
«Les ateliers se sont très bien passés, ils ont accueilli à chaque fois une trentaine de personnes. Il y avait des amateurs, des sommeliers et même des touristes…! J’ai bien vu qu’ils étaient agréablement surpris par la qualité de nos vins !»
Le contrôleur des vins leur a fait découvrir quatre bouteilles : un crémant (Vignum, Domaine Vinsmoselle), un auxerrois (Château de Schengen), un riesling (Domaine Alice Hartmann) et une cuvée barriquée (Pas de Deux, Caves Gales).
Ce joli succès devrait en amener d’autres : «C’était la première fois que nous proposions ce type d’atelier, mais nous avons convenu d’en prévoir d’autres pour l’an prochain. Cette année, leur calendrier est déjà complet.»
Erwan Nonet