C’est une première : le guide «Vinum» a goûté les vins du Grand-Duché et a livré sa sélection dans l’édition 2021 qui vient de paraître. Un joli coup de projecteur pour toute la région.
Une forme d’injustice pèse sur le vin luxembourgeois. Arrivé avec les Romains il y a 2 000 ans, il fait partie de ceux qui ont la tradition la plus ancienne, le niveau de sa production est élevé mais, malgré tout, sa réputation a du mal à passer les frontières, aussi proches soient-elles.
Heureusement, les choses changent petit à petit. L’ouverture vers la France s’est matérialisée dès 1992, lorsque les crémants luxembourgeois ont été autorisés à participer aux concours des Crémants de France, une jolie vitrine qui démontre chaque année que les bulles mosellanes n’ont vraiment rien à envier à leurs cousines françaises. Au contraire. L’année 1999 a également été importante dans cette quête de notoriété : c’est à la veille du millénaire que les meilleurs vins luxembourgeois ont eu le droit d’intégrer le célèbre Guide Hachette des Vins, une référence dans le milieu.
Étonnamment, il aura fallu attendre plus longtemps pour que les voisins allemands s’y intéressent. Et pourtant, les vignes poussent des deux côtés de la Moselle. Mais grâce au travail des vignerons et aussi de la Commission de promotion des vins et crémants, les dégustateurs allemands commencent à lorgner sur ce qui se passe de ce côté-ci du cours d’eau. Cette clientèle, réputée fidèle, est d’ailleurs toujours bien vue des producteurs.
Le meilleur ? Alice Hartmann
C’est ainsi qu’avec la Commission, les vignerons luxembourgeois n’hésitent pas à participer aux foires et aux salons spécialisés (ProWein à Düsseldorf où des séminaires sur les vins luxembourgeois sont régulièrement organisés, Sparkling Festival à Francfort, Badische Weinmesse à Offenburg où le Grand-Duché était l’invité d’honneur en 2018, salon de Munich…). Si l’on ne vend plus vraiment de bouteilles lors de ces évènements, on y fait grossir son carnet d’adresses et on y développe sa notoriété puisque tous les décideurs et les prescripteurs y envoient leurs émissaires.
Les effets de ces actions de fond ne sont jamais immédiats, mais les efforts commencent à payer. Il y a deux ans, le magazine germanophone Falstaff avait publié pour la première fois une dégustation exclusivement centrée sur les crémants luxembourgeois dans son édition de fin d’année, réservée aux effervescents (Sonderausgabe Sparkling Spezial). Il a remis ça cette année sur quatre pages (lire par ailleurs) en attribuant des notes élevées et des commentaires laudateurs.
Et pour la première fois, au début du mois, les vins luxembourgeois ont également intégré le guide Vinum. La publication est jeune (il s’agit de la 4e édition), mais elle fait déjà référence et est bien vendue. Bien mieux qu’une campagne de pub qui ratisse large sans jamais être vraiment sûre de toucher sa cible, cette double présence offre une visibilité et un crédit à l’ensemble de la viticulture du pays. Tous les producteurs n’y sont pas – c’est le jeu des guides –, mais ce nouvel intérêt permet de mettre la marque «Moselle luxembourgeoise» sous les projecteurs. Sans compter que les bonnes critiques de ces dégustateurs reconnus placent la région sous les projecteurs et, à l’heure du tourisme de proximité, pourraient donner des envies d’escapade aux amateurs de nouveautés.
Justement, quels producteurs ont été mis en avant par Vinum? Pour Frank Kämmer et ses collègues, le domaine de l’année est Alice Hartmann (Wormeldange). «Sa collection de rieslings domine la production locale, estiment-ils. Elle représente la noblesse et le classicisme de la Haute-Moselle!» Les notes attribuées à ces flacons oscillent entre 87 et 90/100, la meilleure étant attribuée au riesling Au Cœur de la Koeppchen 2018.
Les vins du Château Pauqué (Grevenmacher) sont également loués par le guide. Abi Duhr y est décrit comme «un vigneron non conformiste, fantasque et doté d’une forte personnalité». La note globale du domaine est de quatre étoiles et demi sur cinq, la même qu’Alice Hartmann. Le Clos de la Falaise et le Clos du Paradis (90/100 tous les deux) sont qualifiés de «cultes», le deuxième étant pour Vinum «le meilleur auxerrois du Luxembourg».
Avec trois étoiles, le domaine Mme Aly-Duhr (Ahn) complète ce podium. Le Monsalvat (80 % de chardonnay et 20 % d’auxerrois, noté 88/100) est «un monument d’une plénitude impressionnante», tandis que le Riesling Les Grains Nobles du Nussbaum (92/100) représente «un délice aux notes fines et raffinées».
D’autres domaines se sont joliment fait remarquer, notamment la maison Schmit-Fohl (deux étoiles et demi, Ahn), où «les vins sont d’une élégance et d’une fraîcheur saisissantes. La sélection SF (NDLR : le haut de gamme du domaine) se trouve à un niveau élevé et homogène».
Pinot noir et vendange tardive
Deux vignerons obtiennent deux étoiles. Pour Vinum, Henri Ruppert (Schengen) produit avec son Remerschen Kreitzberg Ma Tâche (90/100) «le meilleur pinot noir du Luxembourg […], un vin au potentiel énorme dont la stature impressionne». Le vigneron est aussi l’auteur du meilleur vin doux du pays. Son Riesling Vendanges Tardives est la bouteille la mieux notée du Grand-Duché (94/100) : «un vin d’une immense concentration, dans le plus beau style des Trockenbeerenaulese (NDLR : la plus haute qualité de vins liquoreux allemands)».
Le domaine Krier-Welbes (Ellange-Gare) obtient également deux étoiles. Ses pinots gris Charta Privatwënzer («soyeux et élégant») et Vieilles Vignes («un élixir volumineux avec de fins sucres résiduels») ont beaucoup plu (88/100 les deux) ainsi que ses vins rouges. «Le pinot noir Foulschette est mûr et chaleureux (87/100), mais le Falkenberg propose une structure un peu plus ferme et épicée (88/100)».
Il est toujours intéressant d’observer la façon dont les vins issus de sa propre région sont perçus à l’étranger… et d’autant plus satisfaisant de constater qu’ils plaisent à des palais affûtés. «Petit, mais beau : l’expression colle au Grand-Duché mais aussi à ses vins, indique Frank Kämmer. De nombreux producteurs nous ont offert de belles surprises. Les rieslings, issus de terroirs aux qualités remarquables, nous ont particulièrement convaincus.»
Alors bien sûr, en ce moment, pas question de se déplacer pour aller déguster ces crus sur place. Mais avec le confinement et les différentes restrictions, les vignerons sont devenus des experts de la livraison !
Erwan Nonet
Sous le charme des crémants
Les vins tranquilles ont la cote, mais les bulles luxembourgeoises sont carrément plébiscitées par Vinum ! Frank Kämmer, le maître sommelier qui a coordonné la dégustation, avoue avoir été bluffé par leur qualité, «presque tous les domaines en produisent et beaucoup procurent du plaisir à moins de 15 euros». Quant aux meilleurs, le dégustateur les qualifie carrément de «joyaux secrets».
Pour le guide, les trois meilleures bulles du pays sont produites par Alice Hartmann : la Grande Cuvée (91/100), le brut (89/100) et le brut rosé (89/100). La cuvée Melusiner du domaine Laurent et Rita Kox (à Remich) est parvenue à attraper ce wagon (89/100). Le crémant brut du domaine Aly-Duhr (88 points) ou la cohorte des bouteilles notées à 87/100 sont également très appréciés (G by Gales, Charta Privatwënzer Extra-Brut de L&R Kox, cuvée Julie rosé de Krier-Welbes, Clos des Rochers brut rosé, La Brute Extra Brut d’Henri Ruppert, crémant brut de Schmit-Fohl, L&F rosé et Étoile Filante de Sunnen-Hoffmann et Défi du Clos Mon Vieux Moulin).
Voilà ce que dit Frank Kämmer de son préféré : «La Grande Cuvée d’Alice Hartmann atteint facilement les niveaux de qualité et de prix élaborés en Champagne, qui n’est distante que de 170 kilomètres environ.»