Pour le dixième anniversaire de leur charte d’excellence, les vignerons indépendants ont modernisé son design et changé son nom. Désormais, dites Charta Luxembourg !
Depuis 2007, les vignerons indépendants ont traduit leur recherche de l’excellence dans quelques bouteilles d’exception, triées sur le volet. La Charta Privatwënzer (vigneron indépendant), comme elle était appelée alors, regroupait sept vignerons. Dix ans plus tard, ils sont exactement le double à avoir accepté de se retrousser les manches et à prendre le risque – aussi – de se faire recaler.
Car cette sélection n’est pas une pirouette commerciale, le cahier des charges qui permet d’intégrer la charte est particulièrement strict. Il régit absolument toutes les étapes de la conception des crus : du choix des parcelles de vignes jusqu’à la commercialisation.
«Tout commence à la vigne», souligne le président de l’Organisation professionnelle des vignerons indépendants (OPVI), Ern Schumacher. Et il ne s’agit pas là d’une expression toute faite, les rangs doivent être les mieux exposés et les vignes déjà être suffisamment âgées pour permettre de donner une âme au terroir, qui doit bien entendu faire partie des meilleurs. Un comité de vignerons, renforcé par le conseiller viticole Andy Killian, détermine si les parcelles désignées par le vigneron méritent de produire du vin de charte.
L’entretien des ceps est également soumis à des pratiques précises. La fertilisation des sols est uniquement organique et l’enherbement est de rigueur. «À la moindre apparition de maladie, la vigne est automatiquement exclue de la charte», précise Ern Schumacher. Le moindre laisser-aller peut être fatal, d’autant que plusieurs visites d’inspection sont menées lors de la période végétative pour vérifier que le travail effectué est de qualité, mais aussi régulier.
Dégustés à l’aveugle
À ce niveau, le but est d’obtenir des raisins à maturité optimale pour les vendanges. Les vignerons sont d’ailleurs soumis au feu vert de leur conseiller pour aller couper les grappes. C’est lui qui valide la date ou impose d’attendre encore pour que les raisins mûrissent davantage. Des raisins qui sont en quantité limitée puisque la charte interdit un rendement supérieur à 60 hectolitres par hectare. À titre de comparaison, l’AOP en autorise 75 dans les lieux-dits et les coteaux. «Mais nos rendements sont souvent bien inférieurs, assure le président de l’OPVI. En moyenne, ils tournent davantage autour de 45 ou 50 hectolitres par hectare.»
Une fois les vins en cuve, ils ne peuvent être chaptalisés. Ils doivent ensuite patienter deux ans au minimum avant de passer devant le comité de dégustation qui donnera l’accord final à leur mise sur le marché. Cette assemblée rassemble des vignerons et des sommeliers étrangers, ils dégustent ensemble tous les crus à l’aveugle, sans connaître le producteur. Chaque vin peut participer trois fois à la dégustation et lorsqu’il y a un litige, c’est André Mehlen, le contrôleur des vins de l’Institut viti-vinicole, qui tranche.
Les critères qualitatifs sont tels qu’il n’est pas toujours possible de les respecter chaque année. Ainsi, lorsqu’un millésime n’est pas suffisamment bon, aucun vin de charte n’est produit. «La dernière fois que ça s’est passé, c’était en 2013», se souvient Ern Schumacher. Et l’année passée, pourtant difficile ? «Il y en aura, avance le vigneron. C’est vrai qu’il n’y a pas eu beaucoup de raisins, mais les vignes qui ont été épargnées par les maladies étaient très belles et elle ont donné des vins qui promettent beaucoup !»
Erwan Nonet
«Les vins de charte sont d’excellentes locomotives»
Quel est l’intérêt, pour vous, de produire des vins selon les règles de la Charta Luxembourg ?
Laurent Kox (domaine Laurent et Rita Kox, à Remich) : Le principe est simple, il s’agit de concevoir des vins de très bonne qualité pour que toute la gamme monte derrière. Les vins de charte sont d’excellentes locomotives qui permettent de tirer tous les wagons. Si l’on n’a pas de haut de gamme, on ne vend pas aussi bien les vins classiques. Il est d’ailleurs très intéressant que des restaurants comme Le Royal à Luxembourg ou Mathes à Wormeldange les proposent quasiment tous sur leurs cartes. Ce sont de très bons ambassadeurs pour nous!
Est-il facile de vendre ces vins qui sont tout de même plus chers que ceux des gammes traditionnelles ?
Les faibles rendements et le soin extrême apporté à ces vignes justifient des prix plus élevés. Le problème, c’est que nous avons toujours du mal à faire accepter des vins à plus de 10 euros à notre clientèle. C’est un cap difficile à passer pour les vins luxembourgeois. Pourtant, ces mêmes personnes dépensent parfois plus pour des vins allemands, des chablis ou des sancerres qui ne seront pas meilleurs ! Pour nous, la charte permet d’expliquer la spécificité de ces vins, et donc leur prix. D’ailleurs, ils sortent toujours très bien dans les dégustations à l’aveugle. Y compris contre des vins étrangers plus réputés et plus chers.
Et vous, quels vins de charte proposez-vous ?
J’ai un pinot blanc, produit sur le lieu-dit Enschberg à Bech-Kleinmacher (NDLR : 17,10 euros au domaine). Il s’agit d’une vigne de 30 ares, plantées dans une terre rouge avec du gypse, un très bon terroir. Les ceps ont été plantés en 1980, ils ont le bon âge ! Les dégustations verticales de ce vin (NDLR : de différents millésimes) sont vraiment très intéressantes puisque l’on peut vraiment reconnaître le terroir, la typicité du cépage et aussi les variations dues au climat. Ce lieu-dit est très représentatif. Je fais également du gewürztraminer, mais cette année, les vignes situées sur le Primerberg (NDLR : à Remich) ont pris le gel et la grêle et je crois que je n’aurai rien…
Recueilli par E. N.