Étonnement, les toutes dernières statistiques de l’Institut viti-vinicole (IVV) de Remich montrent que les vins luxembourgeois se sont bien exportés en 2020 (+2,9 %). Voilà ce qui se cache derrière ces chiffres.
Dans un climat particulièrement morose qui a vu l’ensemble de la Moselle se féliciter que les ventes de vins luxembourgeois n’aient diminué que de 18 % (soit 12 015 hectolitres en moins) par rapport à la période précédente, constater que les exportations ont progressé de presque 3 % est tout de même une incongruité.
Avant toute chose, il faut souligner que les statistiques produites par l’Institut viti-vinicole (l’antenne mosellane du ministère de l’Agriculture, de la Viticulture et de la Protection des consommateurs) ne portent pas sur l’année calendaire mais sur la période allant du 1er août 2019 au 31 juillet 2020. Soit, comme le fait remarquer le contrôleur des Vins Aender Mehlen, « seulement cinq mois en période de pandémie, ce qui laisse à penser que, quoi qu’il arrive, les chiffres de la prochaine campagne seront moins bons… » Sur le laps de temps étudié, 33 622 hectolitres de vins luxembourgeois ont ainsi traversé les frontières. C’est davantage que lors de la campagne 2018/2019 (32 673 hl) et qu’en 2017/2018 (30 115 hl), mais moins qu’en 2016/2017 (227 015 hl).
Pour se pencher sur l’export de vins luxembourgeois, il faut d’abord appréhender sa constitution. Un poids lourd domine de très loin ce marché : les domaines Vinsmoselle, qui signent 92 % du volume total à eux seuls! L’écrasante majorité part sur le marché étranger historique de la coopérative : la Belgique. Elle y a toujours vendu beaucoup de vins, et particulièrement ses entrées de gamme. Le directeur de Vinsmoselle, Patrick Berg, confirme que 2020 a été une bonne année dans le royaume voisin: « Nous avons bien progressé, notamment avec notre pinot Lux (NDLR : un assemblage de différents pinots) et nos rivaners. Le pinot gris a bien marché aussi ». L’année dernière, et c’est une constante en Europe, les formats ont également joué un grand rôle. « Nous avons remarqué une nette hausse des bag-in-boxes », ajoute-t-il. Ces cubis – où le vin est enfermé dans une poche étanche permettant une longue conservation après ouverture – ont été plébiscités dans les grandes surfaces. Il faut dire que le coût au litre est très faible.
Si les grandes surfaces belges ont très bien vendu les produits de Vinsmoselle, au point que le plus grand faiseur de la Moselle luxembourgeoise a dû organiser des tournées de livraison qu’il n’avait pas prévues, les autres destinations ont beaucoup moins bien fonctionné. « Aux États-Unis et en Angleterre, nos chiffres sont moins bons qu’en 2019 car nous sommes principalement présents chez des cavistes avec des vins de moyenne gamme , explique Patrick Berg. Quant à la Finlande, nous y vendons surtout du crémant, donc nous nous attendions à souffrir un peu. » Les bulles, vins de fêtes par excellence, ont vu leurs ventes diminuer partout sur le globe.
Surtout des vins à petits prix
Globalement, Vinsmoselle a su tirer profit de son positionnement historique en Belgique. Être bien implanté dans les grandes surfaces avec des produits bon marché était une bonne situation en 2020, une année particulière où, de manière complètement inhabituelle, les consommateurs ont mis un terme à une logique de « prémiumisation ». Avant la pandémie, on achetait moins de vins mais des bouteilles plus chères. Avec la crise, le prix est devenu un argument décisif.
Cette constatation sous-tend une incertitude : qu’en sera-t-il lors de la reprise, lorsque le coronavirus ne contraindra plus nos choix de consommateurs? Pour un acteur luxembourgeois, jouer la carte de l’entrée de gamme est-il tenable? Face à une redoutable concurrence internationale au sein de laquelle jouent des pays où les coûts de production n’ont rien à voir avec ceux du Grand-Duché (Espagne, Italie, Chili, Australie…), il est clair que Vinsmoselle n’a pas beaucoup de marge pour baisser encore ses prix.
Ce marché des vins à petits prix est l’héritage d’un passé où le Luxembourg produisait essentiellement des vins de bistrot à boire dans l’année, un legs qui se ressent toujours aujourd’hui dans l’encépagement. Si l’on valorise beaucoup le riesling, le pinot noir ou le pinot gris, le cépage le plus planté reste le rivaner. Et de loin. Pour Vinsmoselle, qui en produit beaucoup, ces débouchés à l’export sont une aubaine puisque le rivaner se vend de moins en moins bien sur le marché national.
Trouver des niches
En dehors de la coopérative, l’export est une part marginale pour les autres domaines. Les vins vendus à l’étranger par les négociants (Desom et Gales, essentiellement) ne représentent que 6 % du total des vins luxembourgeois vendus à l’étranger et ceux des vignerons indépendants, seulement 2 %. Ceux-là expédient toutefois des vins bien différents, dotées d’une valeur ajoutée nettement supérieure. Les crémants de Desom sont par exemple de plus en plus prisés dans les pays baltes et les volumes commencent à être conséquents. Le domaine Laurent & Rita Kox, lui, a trouvé en 2019 de nouveaux débouchés en Amérique du Nord. Après avoir envoyé une première palette pour tester le marché, leur importateur new-yorkais en a fait venir deux nouvelles au cours de l’année. Les Canadiens réagissent également positivement à de premiers essais.
Compte tenu de la taille du vignoble et de celle des exploitations, seul Vinsmoselle peut jouer la carte des volumes. Or, sans grande quantité de bouteilles d’une même cuvée à proposer, il est difficile de s’imposer dans de nouveaux marchés. L’objectif, pour les producteurs luxembourgeois, est donc de trouver des niches où ils pourront vendre leur production sans la brader. Une gageure très chronophage et où le succès n’est jamais garanti. Mais à la lumière de cette période de crise, on se rend compte que diversifier la provenance de ses revenus n’est sans doute pas une mauvaise idée…
Si la hausse des exportations notée entre le 1er août 2019 et le 31 juillet 2021 est bien sûr une bonne nouvelle – comment s’en plaindre ? –, il est probable qu’elle soit surtout conjoncturelle et qu’elle ne donne pas une image complètement réelle de ce qu’est le marché du vin luxembourgeois, dont la capacité de rebond après la crise – c’est une certitude – ne se jouera pas sur ces vins d’entrée de gamme.
De notre collaborateur Erwan Nonet