En France, les actions de vignerons en colère se multiplient contre les étiquettes frauduleuses. Mais ici aussi, la lutte contre la fraude est une affaire sérieuse. Depuis l’Institut viti-vinicole de Remich, c’est le contrôleur des vins André Mehlen qui a la tâche de déceler les fraudes éventuelles.
Depuis l’année dernière, le temps est à l’orage entre les vignerons du sud de la France et certains négociants. Les producteurs remettent en cause des pratiques commerciales qu’ils jugent déloyales et qui, estiment-ils, n’ont d’autres ambitions que de tromper le client.
Le principal reproche fait aux négociants est d’importer du vin espagnol de qualité médiocre et aux prix cassés afin de le reconditionner sous un nouveau nom, avec des symboles graphiques rappelant davantage le vignoble français qu’ibérique. Ces pratiques ne concernent pratiquement que des vins d’entrée de gamme, dont beaucoup sont vendus en bag-in-box (BIB, fontaine à vin) dans les grandes surfaces.
Les derniers épisodes de ces accrochages parfois violents ont eu lieu cette semaine. D’abord dans l’Hérault, mardi soir, où le Comité d’action viticole (CAV) a déversé 200 000 litres de vin chez un négociant. Dix-sept cuves ont été vidées. Le lendemain, dans l’Aude, 500 000 litres de vin (dont 200 000 viennent d’Espagne) ont été déversés par le même groupe. Plus tôt, le 30 mars, des viticulteurs se sont rendus dans trois supermarchés de Nîmes pour détruire les bouteilles et les BIB dont les étiquettes utilisaient des codes qui n’étaient pas en rapport avec l’origine des vins.
Le bordeaux rouge était bien clair…
Au Luxembourg, il n’y a pas (encore) eu d’affaires de ce type. Personne ne s’est plaint de vins vendus sous des étiquettes trompeuses. André Mehlen est le contrôleur des vins de l’Institut viti-vinicole depuis 2011. Microbiologiste de formation, c’est lui qui est chargé de vérifier si les mentions accolées à la bouteille sont conformes au vin qu’elle contient. « Évidemment, nous ne pouvons pas contrôler toutes les bouteilles mises en vente au Grand-Duché, souligne-t-il. Mais nous pratiquons des tests au cours de l’année. »
Les crus luxembourgeois sont les plus contrôlés. En effet, pour bénéficier de la marque nationale, chaque vin est analysé par le laboratoire de l’Institut viti-vinicole et goûté par la comité de dégustation présidé par André Mehlen. « Nous prélevons régulièrement des bouteilles qui sont sur le marché pour les analyser à nouveau. Grâce au numéro de série, nous comparons ces résultats avec ceux obtenus lors de la demande de l’appellation. » Jusqu’à présent, aucune fraude n’a été mise au jour, ce qui ne surprend pas le contrôleur des vins : « Nous sommes un petit pays, tout le monde se connaît. Si un producteur triche, il peut fermer son domaine immédiatement. »
Les vins étrangers qui sont analysés au laboratoire sont le plus souvent choisis de manière aléatoire. « Parfois, lorsque l’on voit qu’un vin n’est pas vendu au prix de son appellation, nous le contrôlons », précise-t-il. Les données recueillies concernent les critères européens que sont le degré d’alcool, la quantité de sulfite et la présence d’allergènes. « Lorsque le vin ne correspond pas à ce qu’indique l’étiquette, les chances sont grandes pour qu’au moins une de ces indications soient fausses », avance-t-il.
Depuis qu’il est en poste, il se souvient d’une affaire pas banale. « Une personne privée m’avait appelé parce qu’elle avait acheté dans un supermarché un bordeaux rouge et qu’elle avait en fait du rosé dans le verre », raconte-t-il. André Mehlen s’était rendu dans plusieurs magasins de l’enseigne au Grand-Duché, avait acheté plusieurs bouteilles de ce vin et les avait analysées.
Surprise : « Le vin tirait 5,4 ° d’alcool! À la dégustation, on voyait déjà qu’il y avait beaucoup d’eau… » Fraude volontaire? Le contrôleur ne pense pas : « Certaines bouteilles étaient normales, d’autres pas. Celles qui ne l’étaient pas étaient toutes comprises entre les mêmes numéros de série. Avant, c’était bon, après aussi, mais au milieu, il y avait un problème. »
Pour André Mehlen, l’explication pourrait venir du fait que lors de l’embouteillage, à la fin d’une cuve, il reste toujours une centaine de litres de vin dans le filtre. Pour l’expulser, on ajoute de l’eau sous pression et là, visiblement, le jet n’a pas été arrêté à temps… Plus une maladresse qu’une volonté de tricher, donc. Son enquête a toutefois permis à l’enseigne de se retourner contre le producteur pour demander réparation.
Erwan Nonet