Les dégustations du réputé Concours mondial de Bruxelles ont débuté vendredi à… Luxembourg. Plus de 300 juges vont défiler pendant neuf jours au Parc Hôtel Alvisse pour analyser 9 060 vins du monde entier.
Thomas Costenoble, le directeur du Concours mondial de Bruxelles peut souffler : jeudi, en début d’après-midi, tout était déjà fin prêt pour lancer la première des neuf journées de dégustation qui permettront de décerner les précieux macarons portant la façade de l’Hôtel de ville de Bruxelles, fièrement posté sur la Grand Place. Les tables où les jurys s’installeront étaient déjà dressées et les bouteilles de cette première session n’attendaient plus qu’à être débouchées au Parc Hôtel Alvisse à Luxembourg.
Le Concours mondial de Bruxelles est aujourd’hui l’un des plus importants au monde, comment est-il né ?
L’initiative a été prise sous la pression de producteurs qui souhaitaient la création d’un concours sérieux, qui permettraient de valoriser leurs meilleurs vins. C’est donc en 1994 qu’est né le Mondial du Vin, comme il s’appelait alors. Nous avions autour de 800 échantillons la première année, surtout des Français. Cette année, pour la première fois, nous dépassons les 10 000 : 9 060 seront jugés ici et 1 000 rosés ont déjà été notés en mars à Bruxelles pour que les lauréats aient le temps de préparer l’étiquetage avant l’été.
Vous vous trouvez à Luxembourg aujourd’hui, le concours aime beaucoup voyager depuis quelques temps…
Jusqu’en 2006, il a eu lieu dans différentes villes belges : Bruxelles, Gand, Anvers… Et en suite, un peu par hasard, nous avons commencé à sortir des frontières. Depuis, nous sommes tous les ans à l’étranger : Lisbonne, Maastricht, Bordeaux, Valence, Palerme, Guimarães, Bratislava, Jesolo, Plovdiv, Valladolid… L’an dernier, nous avons la chance de pouvoir l’organiser en septembre à Brno (République Tchèque) entre deux vagues de Covid.
Vous aviez prévu d’aller en Chine, cette année, non ?
Oui, à Yinchuan. Mais il a fallu trouver une autre solution parce que déplacer 300 dégustateurs du monde entier en Chine, en ce moment, ce n’est pas possible. C’est le ministère de l’Économie luxembourgeois qui nous a contacté pour nous proposer de venir ici et nous avons trouvé que l’idée excellente. Nous étions déjà venus à Luxexpo, il y a dix ans, et c’était une belle expérience.
Comment vous êtes-vous adapté au contexte sanitaire ?
D’habitude, le concours réunit 300 dégustateurs sur trois jours. Là, pour éviter un tel rassemblement, nous avons organisé trois sessions de trois jours, ce qui permet de diviser le nombre de dégustateurs présent au même moment par trois. Dans la salle, au lieu des 60 jurys, nous n’en avons que 20 simultanément. Cette rotation impose une logistique plus longue mais finalement, cela nous rend les choses plus faciles, à taille plus humaine.
Sur place, gérer toutes les mesures sanitaires n’est pas un casse-tête ?
C’est compliqué, cela demande une excellente organisation mais ce n’est pas impossible. Nous sommes dans une bulle relativement fermée puisque les dégustateurs logent ici et que nous gérons tout : le transport, les repas, le logement… Tous les membres des jurys sont soit double vaccinés, soit porteurs d’un test PCR négatif, soit ils font un test rapide en arrivant. Le port du masque est bien sûr obligatoire en dehors des dégustations. Et cette année, nous n’avons invité que des dégustateurs venus d’Europe. Cela simplifie quand même beaucoup les choses. Ce qui est dommage, par contre, c’est que nous ne pouvons pas travailler avec l’École d’Hôtellerie et de Tourisme du Luxembourg, à Diekirch, comme il y a dix ans. D’habitude ce sont les étudiants qui réalisent le service mais là, ils sont tous en stage. Le directeur était désolé mais il nous a expliqué que, puisque les étudiants n’ont pas pu faire ces stages pendant le confinement, ils doivent absolument se rattraper maintenant que les établissements sont ouverts. Du coup, nous avons recruté 35 personnes localement en intérim.
La médaille apporte une hausse des ventes de 15%
Malgré le contexte compliqué, vous n’avez jamais songé à annuler le concours ?
Le marché du vin a souffert mais, finalement, la consommation n’a pas baissé tant que ça. Et on voit que maintenant que la situation s’améliore, elle reprend très vite. Les producteurs continuent de produire, les consommateurs ont continué à boire du vin et ces médailles sont de très bons outils marketing. Malgré tout, elles ont toujours un rôle à jouer.
Avez-vous évalué l’influence des médailles sur les ventes ?
Oui, nous avons commandé une étude qui a prouvé qu’en grandes surfaces, la médaille apporte une hausse des ventes de 15%. Les mêmes bouteilles ont été mises en rayons dans différents magasins, certaines portant la médaille et d’autres pas : la différence était parfaitement visible. Certains gros acheteurs déterminent même des commandes avec la médaille comme critère. Nous travaillons en Chine avec la filière d’une enseigne de grandes surfaces qui achètent les vins que nous sélectionnons. Pour eux, c’est un gage de qualité et une relation de confiance.
C’est l’un des problèmes des médailles : il y en a de plus en plus et elles ne valent pas toutes la même chose…
Certains concours, notamment anglo-saxons, donnent des médailles à 80% des vins présentés. Là, clairement, les vignerons achètent leurs récompenses. Ici, nous médaillons chaque année entre 26 et 29% des échantillons. Nous mettons tout en œuvre pour être le plus fiable possible. Notre travail est de donner de la valeur à la médaille. Nous respectons à la lettre les consignes de l’Organisation internationale de la Vigne et du Vin (OIV) et nous allons même bien plus loin. Par exemple, pour vérifier la fiabilité des dégustateurs, nous mettons systématiquement deux fois la même bouteille dans chaque série. Puisque les bouteilles sont anonymisées, ils ne peuvent pas les reconnaitre. Si quelqu’un donne deux notes avec plus de 2,5 points d’écart, il y a un problème.
Les jurys sont donc sous pression !
Oui, mais ils aiment ça ! Il n’y a que des professionnels aguerris aux dégustations internationales. Ce sont des acheteurs pour les grandes surfaces, des sommeliers, des œnologues, des journalistes… Il n’y a pas de vignerons car ils n’ont pas toujours la connaissance des caractéristiques des vins des autres régions. (Il montre une table sur laquelle se trouvent les bouteilles qui vont être dégustées par un jury) Vous voyez, ce jury va déguster une série de Pouilly-Fumé, une de Languedoc, une de vins de Campanie et finir avec des Lalande-de-Pomerol. Il faut être solide pour juger ces 50 vins avec justesse. Nous travaillons même avec l’Institut des Statistiques de l’Université catholique de Louvain (UCL) pour analyser les notes qu’ils donnent.
Comment cela ?
Ils inscrivent leurs réponses sur une tablette, ce qui permet d’avoir des résultats analysables immédiatement et de vérifier leur fiabilité. Par exemple, certains sont systématiquement généreux et d’autres systématiquement sévère. Pour éviter que les que les résultats tournent à la loterie, l’UCL nous a créé un logiciel qui normalise ces notes selon le profil des dégustateurs. Des étudiants travaillent avec nous tous les ans et je vous assure qu’il y a beaucoup de volontaires : c’est un sujet d’étude qui plait beaucoup !
Entretien avec notre collaborateur Erwan Nonet
Fausses médailles et vraies fraudes : le concours surveille
Parmi tous les concours, celui de Bruxelles est l’un des mieux cotés dans le milieu. Cette quête d’intégrité est aussi son fond de commerce, puisqu’elle incite les vignerons à livrer leurs vins, puis aux consommateurs d’avoir la garantie que le vin qui porte le macaron vaut l’achat. Cette notion de confiance est donc essentielle.
Le concours est le seul, par exemple, à réaliser ce qu’il appelle le «contrôle aval». Thomas Castenoble, le directeur, explique : «Nous allons régulièrement acheter de manière anonyme des vins médaillés en grandes surfaces et nous les analysons en laboratoire pour les comparer avec les échantillons que nous gardons en entrepôt pendant deux ans afin de voir si ce sont effectivement les mêmes vins».
La démarche est pleine de sens puisque quatre fraudes ont été ainsi découvertes en Belgique. «Nous avons établi la preuve que ces vins dont les bouteilles portaient la médaille n’étaient pas ceux qui avaient été envoyés à la dégustation.» Pour les producteurs, il s’agit du point de départ d’une longue série de problèmes. «Les enseignes ont retiré les vins des rayons, déréférencés les domaines de ses rayons et lancés des procédures. Cela s’est su et cela a été une très mauvaise publicité pour les producteurs qui ont perdu beaucoup de clients : tant mieux, cela a permis de montrer que nous étions vigilants et qu’il était risqué de tenter de nous berner.»
E.N