Pour un esprit cartésien, il est difficile de valider les principes souvent abracadabrantesques mis en œuvre dans la biodynamie. Mais les résultats sont là! Dans trois articles récents, l’œnologue et vigneron français Pascal Chatonnet montre que certains bienfaits peuvent être scientifiquement prouvés.
Avant de commencer, il est nécessaire de replacer le contexte. La biodynamie a été fondée dans les années 1920 par Rudolf Steiner, fondateur de l’anthroposophie. Ce courant ésotérique se nourrissant d’influences diverses et variées (bouddhisme, hindouisme, christianisme…) veut proposer une nouvelle organisation du monde, dans son sens le plus large (terrestre, cosmique…). Si la biodynamie emprunte des voies parfois mystiques, elle est aussi née comme une réponse à de nouvelles pratiques agricoles qui voyaient l’émergence de l’agro-industrie et des engrais chimiques.
Parmi les fondements de la biodynamie, codifiés en 1924 dans le Cours aux agriculteurs donné par Steiner, on trouve l’utilisation de préparations à l’élaboration très normée. Certaines sont à pulvériser (bouse de corne, silice de corne), d’autres à composter (achillée millefeuilles, camomille, ortie, écorce de chêne rouvre, pissenlit, valériane). Il faut également enfouir des cornes de vache remplies de bouse aux équinoxes d’automne et de printemps.
Bien sûr, l’esprit scientifique est tenté de voir là une somme de croyances et de superstitions basées sur les élucubrations d’un prophète aux idées souvent douteuses. Mais il faut aussi bien reconnaître que la biodynamie est efficace. Les vins des producteurs qui suivent ces règles font très régulièrement partie des meilleurs de leurs appellations. Reste à comprendre pourquoi…
C’est une des tâches qui occupe l’œnologue et vigneron français Pascal Chatonnet. Très critique de la pensée parfois irrationnelle et des pratiques aux fondements plus magiques que scientifiques de la biodynamie, il reconnaît pourtant sans sourciller les bénéfices que la vigne en retire. Cherchant à comprendre le pourquoi du comment, il expose dans trois posts récents de son blog plusieurs axes qui valident scientifiquement certaines pratiques.
Des vignes plus résistantes
Il fait notamment remarquer que plusieurs études «ont permis récemment de démontrer et de quantifier l’incidence de la gestion biodynamique sur les niveaux de défenses naturelles de la vigne en montrant qu’elle pouvait augmenter significativement et notablement le niveau de ces défenses». Les vignes en biodynamie sont donc visiblement plus résistantes aux maladies et aux conditions climatiques extrêmes mais cela n’explique toujours pas pourquoi…
Une des hypothèses est que la plante, davantage stressée que celles qui croissent en conventionnel (puisqu’elle n’est pas aidée par la chimie), a développé elle-même des systèmes de défense plus efficaces. «La stimulation de la réponse de la vigne pourrait être due simplement à un stress permanent et tout simplement plus intense en biodynamie, situation induisant naturellement une synthèse plus importante de facteurs de résistance aux stress.» Auquel cas, les préparations biodynamiques ne joueraient aucun rôle.
Néanmoins, Pascal Chatonnet fait remarquer que «parmi les différents préparats biodynamiques réputés activer le métabolisme de la plante, le silicium intervient dans plusieurs d’entre eux : dans la silice de corne en premier lieu, mais aussi les tisanes de prêle ou de pissenlit». Or ce silicium est très intéressant.
À concentration élevée, il s’accumule dans les parois végétales de la plante, ce qui «augmente leur stabilité et leur robustesse structurelle permettant de maintenir un port érigé et une disposition foliaire favorable à la captation de la lumière donc à la photosynthèse», ce qui induit une plus grande production de chlorophylle, notamment. De plus, cette présence forte du silicium dans les parois de la plante «agit contre la pénétration des agents pathogènes insectes et champignons», un bienfait qui est également constaté lors de la pulvérisation de silicium directement sur les feuilles. «Les défenses naturelles déclenchées ou stimulées par le silicium permettent ainsi d’atténuer les effets de stress abiotiques (toxicité des métaux lourds, sécheresse, excès d’eau, vent, températures extrêmes et salinité) et biotiques (insectes, herbivores, nématodes, champignons, bactéries et virus)», explique Pascal Chantonnet.
Un autre aspect bénéfique des pratiques de culture biodynamique est aujourd’hui scientifiquement étudié : les interactions entre les racines et le substrat dans les sols peu travaillés sont bien meilleures. Plus la microbiologie (bactéries et champignons) d’un sol est riche et plus la relation entre la vigne et son environnement est bénéfique. «Les réseaux [microbiologiques] plus densément regroupés et collaboratifs tels que ceux classiquement observés en viticulture biologique et plus encore biodynamique sont réputés plus résilients et susceptibles de conférer une meilleure résistance aux stress abiotiques et potentiellement biotiques.» Dans les sols conventionnels, les populations de bactéries et de champignons sont plus spécialisées mais aussi plus sensibles aux stress de leur environnement, ce qui a pour conséquence de fragiliser la vigne.
Finalement, Pascal Chantonnet conclut qu’il reste encore beaucoup de recherches à mener pour comprendre les processus qui font la réussite d’une viticulture biodynamique qu’il cherche à démystifier, arguant qu’«une bonne idée n’a pas besoin de mauvais arguments pour être défendue».
De notre collaborateur, Erwan Nonet