Cette année, c’est sûr, on ne battra pas le record des vendanges les plus précoces de la Moselle. Mais au fond, ce n’est pas bien grave. Et si finalement, il s’agissait même d’une bonne nouvelle?
Alors bien sûr, la météo du mois de juin n’a jamais fait les raisins du mois de septembre. Il est donc inutile de chercher à imaginer ce que seront les vendanges à la sortie de l’été.
N’empêche, les six premiers mois de l’année n’ont pas eu grand-chose de commun avec ceux des années précédentes. Des chaleurs jamais vues au mois de février, un printemps froid et humide et, depuis quelque temps, quelque chose qui ressemble fort à un début d’été.
Ce cocktail pas vraiment linéaire et franchement même un peu baroque nous amène à une situation particulièrement… normale! En effet, la croissance végétative de la vigne se trouve aujourd’hui pile-poil dans la norme des cinquante dernières années.
Serge Fischer, chef du service viticulture de l’Institut viti-vinicole de Remich, confirme : «On retombe sur un calendrier classique, avec une floraison qui devrait arriver autour de la fête nationale (NDLR : le 23 juin).» Ces dernières années, les fleurs étaient apparues trois semaines plus tôt.
L’équilibre sucre-acidité
Qu’est-ce que cela va changer? Inutile de tirer des plans sur la comète à propos de la qualité des maturations des futurs raisins, la seule affirmation que l’on peut avancer sans se tromper aujourd’hui, c’est que les vendanges ne seront pas aussi précoces que les années précédentes. Les vignerons peuvent sans problème réserver leurs vacances en août!
«Pour que les fleurs de rivaner se transforment en raisins prêts à vendanger, en théorie, il faut 95 jours», explique le spécialiste. Cela nous mènera donc à la deuxième quinzaine de septembre. Comme dans le temps.
Ce qui, finalement, est plutôt une bonne nouvelle. «Ce n’est pas parce qu’une année est très précoce qu’elle est particulièrement bonne, souligne Serge Fischer. Des raisins vendangés tardivement peuvent être excellents.» Ce qui va jouer, surtout, c’est l’équilibre sucre/acidité qu’ils finiront par développer. Or les conditions de cette première moitié d’année sont plutôt positives.
Des précipitations profitables à la vigne
Contrairement à un paquet de régions viticoles en Europe, les gelées tardives n’ont pas touché les vignes au mois de mai. Il a fait particulièrement mauvais plus tard? Pas grave, cela a permis au sol de se charger en eau, une ressource des plus précieuses lorsque le mercure s’élève et le soleil tape.
«Même si l’on dit que les années sèches sont généralement de bonnes années, on n’aime pas le manque d’eau au printemps, appuie-t-il. Les précipitations de ces mois derniers sont très profitables à la vigne.»
Le principal danger, dans les rangées de ceps à cette période, ce sont les maladies cryptogamiques causées par les champignons comme le mildiou et l’oïdium. Là encore, une bonne nouvelle : «Pour l’instant, il n’y a rien du tout, sourit Serge Fischer. Les vignerons nous appellent dès qu’ils aperçoivent un foyer et nous n’avons encore reçu aucun coup de fil. Cela aurait peut-être été différent si les orages qui ont arrosé le sud du pays en fin de semaine dernière avaient fait la même chose ici, mais nous, nous n’avons eu que cinq litres d’eau.»
«Pour l’instant, c’est formidable»
Bref, en un mot comme en cent : «Pour l’instant, c’est formidable!», s’enthousiasme-t-on à l’institut. Si cette année nous semble anormale par rapport aux précédentes, elle ne l’est pas du tout sur un temps plus long. «Les jeunes vignerons me disent que c’est une année tardive mais, mais c’est parce qu’ils ont uniquement connu des années précoces!», rigole Serge Fischer.
Évidemment, le réchauffement climatique n’est pas remis en question d’un point de vue global mais les variations dans les cycles apportent une réalité plus aléatoire que les modèles définis pour le long terme. «Dans les années 60, 70 ou 80, une année tardive était un millésime où la floraison survenait à la mi-juillet et les vendanges se poursuivaient jusqu’en novembre. On en est loin!» Certes, et même lors de ces années-là, on pouvait produire de grands vins.
Erwan Nonet
Luc Kohll : «C’est le travail qui commence!»
Le vigneron indépendant Luc Kohll (domaine Kohll-Leuck, à Ehnen) apprécie le travail dans les vignes. En ce moment, il est servi : avec toute l’eau tombée ces dernières semaines et le soleil qui réapparaît, la croissance des ceps est spectaculaire!
Cette année sera forcément plus tardive que 2018, 2019 ou 2020, est-ce que cela vous inquiète?
Luc Kohll : Pas du tout! Rien ne dit que nous n’aurons pas un millésime exceptionnel. Et puis, si le temps se maintient comme ça, on aura déjà récupéré une semaine de retard d’ici quinze jours. Le plus important, finalement, ce sont les quatre semaines qui précèdent les vendanges. Si le temps est sec et ensoleillé, alors les maturations se font dans de bonnes conditions. C’est surtout ça qui fait une bonne année.
Vendanger plus tardivement peut-il avoir des avantages?
Oui, particulièrement sur le travail en cave. Si la récolte se fait lorsque les températures sont plus basses, on économise de l’énergie pour refroidir les cuves, ce qui permet de contrôler plus facilement les fermentations. Il y a moins de risques microbiologiques.
Souvent, les années plus tardives permettent d’obtenir des vins plus fruités. Les raisins gardent mieux leur fraîcheur lorsque les nuits sont plus longues et moins chaudes. Particulièrement le riesling, d’ailleurs, qui peut magnifiquement développer sa minéralité dans ces conditions. Ce n’est pas un hasard si on ne le produit pas dans le sud de l’Europe!
Le sol est gorgé d’eau, la chaleur réapparaît : le rythme de croissance a dû singulièrement s’accélérer ces derniers jours?
C’est certain : c’est le travail qui commence! En ce moment, ce sont les travaux de palissage qui nous occupent. Il faut fixer les branches qui poussent beaucoup dans les fils pour que le feuillage puisse bien prendre le soleil. On passe d’abord avec le tracteur, mais la plus grande partie se fait à la main.
Ce qui est positif, c’est que la pousse est très régulière. Puisque la vigne ne manque de rien, sa croissance est homogène et c’est une très bonne chose. On voit également que le bois qui se forme est de bonne qualité, sans défaut.
Recueilli par E. N.