Les vignerons indépendants ont fait venir deux experts pour compléter leurs connaissances sur un élément fondamental de leur activité : le sol dans lequel poussent leurs vignes.
Les vignerons en rigolent parfois : il arrive que des clients imaginent qu’ils ne travaillent réellement que lors des vendanges, puisque autrement, il suffirait de voir la vigne pousser et le vin se faire tout seul dans les cuves ou les barriques ! Les producteurs doivent alors leur expliquer que, non, être vigneron est un vrai travail à temps plein qui ne leur laisse pas beaucoup de répit tout au long de l’année.
Quel que soit le processus en cours (travail de la terre, conduite de la croissance, gestion des risques de maladies, calendrier des vendanges, contrôle des fermentations puis de l’élevage, embouteillage, marketing, vente…), ce métier est celui d’un engagement total qui ne supporte ni l’à-peu-près ni la routine. Tout se réfléchit et tout est mis en question, millésime après millésime, en fonction de l’expérience acquise et de l’avancée des connaissances.
Les jeudis 3 et vendredi et 4 février, l’Organisation professionnelle des vignerons indépendants (OPVI) avait organisé pour ses membres un atelier portant sur un sujet méconnu, mais décisif : le sol.
«Quand on me demande ce qui est le plus important pour élaborer un bon vin, je réponds que c’est le sol, souligne Jean Cao, l’œnologue-conseil de l’OPVI qui a organisé la formation. On peut utiliser les mêmes cépages, les mêmes techniques que dans un autre domaine dans une autre appellation, mais le vin sera toujours différent, car le sol, avec le climat, est l’une des rares choses que l’on ne peut pas transposer. Or au Luxembourg, nous avons la chance d’en disposer d’excellents.»
Le premier geste œnologique est l’entretien de son sol
Carte d’identité du terroir, le sol est un élément finalement très complexe. Terre d’échanges entre la roche-mère et la surface de la terre, il fait le lien entre le socle terrestre et l’atmosphère. La vigne étant rarement plantée en plaine (particulièrement au Luxembourg), cet espace est souvent mince. Il est aussi fragile et sensible à tout ce qui se passe au-dessus de lui.
Comme toutes les autres plantes, la vigne est dépendante des caractéristiques du sol : de la qualité des échanges opérés par le biais des racines dépendra la qualité du vin. Il importe donc au vigneron de bien connaître la nature du sol dans lequel elles vont puiser l’eau et les nutriments qui lui seront indispensables pour se développer.
Elterberg et Palmberg, vus du fond de la fosse
Pour qu’un vigneron puisse bien connaître le sol dans lequel poussent ses vignes, il doit réaliser une fosse pédologique. Creusée entre deux rangs de ceps, au milieu de la parcelle, cette petite tranchée doit plonger jusqu’à la roche mère et offrir des parois bien nettes.
«La fosse doit permettre de déterminer les différents horizons (NDLR : des niveaux homogènes) que nous analyserons», indique Rodrigo Laytte, spécialiste du sujet basé à Bordeaux. Ces couches se distinguent par leurs couleurs, leurs structures (éléments grossiers ou non, compact ou poreux…), la présence (et de la quantité) de la matière organique, la présence des racines de la vigne ou encore sa teneur en eau.
Puisque rien ne vaut le terrain pour expliquer la méthodologie, Rodrigo Laytte a emmené les vignerons autour de deux fosses creusées à Ahn, l’une sur l’Elterberg et l’autre au pied des falaises de calcaire dolomitique du Palmberg. L’Elterberg est un lieu-dit situé entre Wormeldange et Ahn, sur la moitié nord de la Moselle, entièrement remembré dans au tournant des années 1970/1980.
Bien exposé, il fait partie des terroirs appréciés. La fosse a révélé un premier horizon d’humus de 20 à 30 centimètres d’épaisseur, dominant un deuxième horizon très compact et humide. À la base, on trouve un troisième niveau avec beaucoup de graviers et de rochers reposant sur la roche-mère. Il apparaît que la deuxième strate, de loin la plus épaisse, est vraisemblablement composée de marnes du Keuper (un âge géologique, environ 240 millions d’années) apportées de l’extérieur lors du remembrement pour niveler un terrain alors composé de terrasses soutenues par des murs en pierres sèches.
Trop denses en argile, elles ne permettent pas aux racines de la traverser. Elles s’étendent donc plutôt à la surface, un contexte difficile pour la plante. Nicolas et Mathieu Schmit (domaine Schmit-Fohl, à Ahn), viennent d’y arracher du riesling et comptaient y planter du merlot. «Je ne le conseille pas, a soutenu Rodrigo Laytte. Le merlot réclame beaucoup d’eau et la couche d’argile va empêcher les racines de plonger profondément. Par contre, c’est un bon sol pour faire du crémant.»
Le Palmberg, à un kilomètre à vol d’oiseau, s’est avéré très différent. Si le niveau d’humus était semblable, il surmontait une deuxième couche de terre grisâtre haute de 10 cm et surtout un troisième horizon argilo-sableux grumeleux et bien aéré, épais d’au moins 70 cm. Le niveau le plus profond comprenait des sables grossiers très bénéfiques à la circulation de l’eau.
«Ce sol est vraiment d’excellente qualité, s’est enthousiasmé Rodrigo Laytte. La couche argilo-sableuse peut être facilement traversée par les racines qui pourront sans peine alimenter la plante sur une profondeur totale de près de 1,20 m. D’ailleurs, on le voit, les racines sont très nombreuses et toutes vivantes.» De fait, ce sont ici que poussent les meilleurs rieslings de Jeff Konsbruck (Winery Jeff Konsbruck, à Ahn). Le sol ne trompe pas !
Entre le ciel et la terre
Céline Brédèche, œnologue et conseillère au sein de la firme Frayssinet (leader de la fertilisation organique en France) expliquait qu’on ne peut dresser un diagnostic complet de l’état général d’une vigne sans se pencher très sérieusement sur la santé de son sol.
«Le premier geste œnologique est l’entretien de son sol, explique-t-elle. Il faut l’analyser puis, en fonction des vins que l’on souhaite obtenir, le fertiliser afin de gommer les carences ou les excès qui pourraient nuire à l’équilibre des vins. L’objectif de ces petites touches très ciblées est de prévenir tout problème à la vigne, problème qui risquerait ensuite de nuire au potentiel œnologique des vins.»
Une règle de base est désormais bien acquise : une vigne ne peut être en bonne santé que si le sol dans lequel elle pousse est vivant. La vie, toutefois, n’est pas présente dans toute son épaisseur. La microfaune et les micro-organismes ont besoin d’oxygène pour vivre et celui-ci n’est présent que dans les trente premiers centimètres et encore, uniquement si la structure du sol est suffisamment aérée.
Un sol sain est donc un sol dans lequel l’humus bouillonne de vie. Un bon sol allié à une activité culturale n’est jamais le fruit du hasard, mais le résultat des efforts du vigneron et de sa volonté de le comprendre. Puisque la plus grande qualité d’un vin est de refléter son terroir, ce travail d’analyse méticuleux devient un prérequis. Les vignerons indépendants, venus nombreux, l’ont bien compris.
Équilibre et précision
Le sol comprend une foule d’éléments qui, chacun, possède leurs caractéristiques et est utile à la plante. La compréhension de ces interactions permet d’identifier le rôle qu’ils tiennent dans le développement de la plante. Ainsi, par exemple, le phosphore aide à la croissance, au développement des raisins et à la résistance au stress (sécheresse, chaleur…) de la vigne.
Le magnésium permet la fabrication du pigment chlorophyllien, grâce auquel la vigne pourra transformer le rayonnement du soleil en énergie, une photosynthèse qui a également besoin de fer pour s’opérer. Le calcium, lui, renforce la rigidité des tissus dont celui la peau des raisins. Un bienfait qui permettra à la plante de mieux résister à la pourriture. Le bore aidera les bourgeons à se transformer en fleur, tandis que le silicium renforcera l’épaisseur des parois cellulaires qui résisteront donc mieux au manque d’eau.
Comme tout être vivant, la plante a des besoins complexes et tout est question d’équilibre. Trop peu de tel élément peut être néfaste, mais un excès le serait tout autant. Ainsi, si le potassium tient un rôle physiologique important, sa présence en trop grande quantité agit aussi sur le pH des moûts et déclenchera une chute de la fraîcheur des vins, un caractère essentiel des vins luxembourgeois.
De notre collaborateur, Erwan Nonet