Quelques vignerons, encore peu nombreux, ont déjà vendangé quelques parcelles. Au domaine Alice-Hartmann, on sait déjà qu’on ne produira pas de vins rouges cette année.
Les vignes sont encore bien désertes sur les coteaux mosellans. Les vendangeurs ne sont pas encore déployés en masse entre les rangées de ceps, ils seront nettement plus nombreux la semaine prochaine. «Nous avons commencé lundi, sourit André Klein, du domaine Alice Harmann (Wormeldange), qui organise l’arrivée des premiers bacs à la cave sous un beau ciel bleu (c’était mercredi). Pour l’instant, il s’agit d’effectuer le premier passage dans les pinots noirs qui intègreront nos crémants blancs et rosés. Mais nous en laissons encore mûrir une bonne partie que nous viendrons chercher plus tard.» Les raisins ne sont pas très sucrés, bien moins que les années passées, mais ils conviendront parfaitement pour ces bulles qui, justement, construisent leur équilibre autour d’une fine acidité.
Par contre, le domaine a déjà tiré une croix sur les vins rouges. Lorsque les années le permettent, il en produit deux de très haute qualité (Clos du Kreizerberg à Grevenmacher et Sélection du Château), mais les raisins de ce millésime ne s’y prêtent pas. «Nos vins rouges requièrent des maturités élevées que nous n’obtiendrons pas cette année, regrette-t-il. Tant pis, ce sont nos crémants qui en profiteront.»
L’autre souci qui est général à toute la Moselle, c’est la grande hétérogénéité des raisins. Certains sont mûrs, d’autres moins, alors qu’ils se trouvent tout près les uns des autres. Cette situation n’est pas vraiment surprenante, elle est causée par le manque de soleil de ces derniers mois et les difficultés de la vigne à mettre en route la photosynthèse indispensable à la formation des baies.
Frank Duhr (Clos Mon Vieux Moulin, à Ahn) a, lui, lancé les vendanges en milieu de semaine. Également sur des parcelles qui permettront d’obtenir des vins de base pour les crémants. «J’ai une jeune vigne de pinot noir qu’il fallait vendanger, les raisins n’auraient rien gagné à rester plus longtemps», explique-t-il. Du fait du jeune âge des ceps, les quantités ne sont pas élevées et le vigneron craignait que les grappes ne se gâtent rapidement. «La peau des baies était fine et donc fragile : elles sont sensibles à la pourriture et aux piqûres des mouches», souligne-t-il. Drosophila suzukii est l’insecte en question, une petite mouche d’origine asiatique aux yeux rouges présente depuis quelques années dans la Moselle luxembourgeoise et qui aime pondre ses œufs dans tous les fruits rouges.
Un millésime 2021 traditionnel
Le vigneron a aussi récolté les raisins d’une vigne d’auxerrois, dont les grappes donnent une bonne indication des drôles de conditions climatiques de cette année. «Ces dernières années, les taux de sucre tournaient autour de 95° Oechsle et là, il y en a 75», avance Frank Duhr. Est-ce problématique? «Pas tant que ça! En fait, j’aurais voulu récolter des raisins comme ça en 2018 ou 2020, mais ce n’était pas possible tellement les taux de sucre sont montés rapidement. Pour faire du crémant, il faut des vins de base avec une certaine acidité (NDLR : à cause de la deuxième fermentation en bouteille, lancée avec une liqueur sucrée). Les raisins qui sont actuellement dans le pressoir (NDLR : l’entretien a eu lieu jeudi) vont me permettre d’élargir la palette avec laquelle je pourrai réaliser les meilleurs crémants possibles.»
Évidemment, les vignerons savent bien que le millésime 2021 sera très différent de ceux auxquels on était en train de s’habituer, mais qui étaient, eux, complètement hors norme par rapport à ce que l’on avait l’habitude d’obtenir. «Ce sera un millésime normal, finalement, avec des vins aux caractéristiques plus traditionnelles», anticipe André Klein. «Traditionnellement, nous commencions les vendanges après le Riesling Open et c’est ce qui s’est passé cette année (NDLR : la fête a eu lieu le week-end dernier). Or nous faisions aussi de très bons vins ces années-là!» rigole Frank Duhr, pas franchement inquiet.
Ce week-end, les vendangeurs vont arriver dans la Moselle et on les verra de plus en plus dans les coteaux. Ils n’auront pas une tâche facile, puisque la grande diversité des maturités au sein des parcelles (et parfois sur la même grappe) va leur imposer de sélectionner avec soin ce qu’ils mettront dans les bacs. Pas question d’envoyer des raisins touchés par la pourriture ou des grappes sans aucune homogénéité. Pour tous les producteurs qui ne transigent pas avec la qualité, les prochaines semaines promettent d’être éreintantes…
Erwan Nonet