Stéphanie et son mari exploitent un restaurant et la fermeture prolongée de leur établissement cause aussi de «gros dégâts psychologiques», selon la patronne.
Quand elle a entendu les annonces de Xavier Bettel mardi après-midi, tout s’est écroulé autour d’elle. Stéphanie (prénom d’emprunt) déclare être «tombée au fond du gouffre». Elle a eu l’impression de se prendre «une grosse claque», de subir «une profonde injustice» et une question la taraude : «pourquoi nous ?». Depuis mardi, elle la hante alors que le Premier ministre et la ministre de la Santé, Paulette Lenert, ont évoqué des raisons de détresse psychologique pour justifier la réouverture des commerces, des écoles, des salles de sport, des coiffeurs…
«Et nous, on n’est pas en détresse psychologique ? Mon mari devient dingue à la maison, il retourne au restaurant faire les cent pas, vérifier mille fois que tout est en ordre, puis il rentre se caler dans le canapé et ne dit plus un mot. Il m’inquiète beaucoup, je sais qu’il n’est pas bien du tout, il a besoin d’être aux fourneaux et là c’est sa vie qui s’écroule», témoigne la restauratrice qui préfère garder l’anonymat alors qu’elle livre des détails sur son quotidien et surtout celui de son mari qu’elle voit «sombrer dans une dépression».
Le couple a toujours exercé dans la restauration et s’est mis à son compte il y a une vingtaine d’années. Il a réussi à se tailler une solide réputation dans l’est du pays, bénéficiant des sites touristiques de la Moselle qui lui assurent la clientèle. Son mari en cuisine avec sa petite brigade, Stéphanie en salle, les clients fidèles, ceux de passage, le rythme soutenu, les affaires qui tournent et badaboum, plus rien. «Il ne nous reste que l’incertitude mais plus les jours passent, plus la motivation s’envole», avoue la restauratrice. «Je ne suis pas la seule à ne plus avoir envie, quand je parle avec des collègues, je les sens démoralisés, découragés. Comme moi, ils n’ont plus envie. J’ai peur que mon mari finisse par me dire qu’il arrête tout parce que là je sais que ce sera la fin des haricots», craint Stéphanie.
Les chefs, c’est une catégorie à part. «Ce sont des mecs hyper motivés, leur cuisine c’est leur vie, si on leur confisque leur outil de travail, ils pètent un câble. J’ai peur qu’il y ait des drames.»
J’ai parmi mon personnel des célibataires qui m’appellent pour me confier leur désespoir
Les dégâts psychologiques, elle peut en parler. Pas seulement ceux que cette crise sanitaire et cette nouvelle fermeture causent à son couple, mais aussi à son personnel. «J’ai parmi mon personnel des célibataires qui vivent seuls dans leur petit appartement et qui m’appellent pour me confier leur désespoir. Ils en ont marre, ils ont besoin de voir les clients, de les servir, de vivre avec une équipe qui est comme une grande famille», explique la cheffe d’entreprise.
Économiquement parlant, elle avertit que le couple ne pourra pas continuer longtemps comme ça, sans travailler, sans gagner de l’argent. «Il faudra que l’État nous aide, oui bien sûr, et qu’il comprenne surtout que l’on ne va pas reprendre notre activité pour payer exclusivement nos dettes comme la TVA ou les cotisations sociales, sans parler des frais fixes.» Elle en profite pour adresser un reproche aux compagnies d’assurance qui, selon elle, auraient pu les dédommager pour une partie de la perte d’exploitation.
Mais les aides de l’État, aussi louables soient-elles, ne remplacent pas le besoin de travailler pour le couple et son équipe. Ils avaient pourtant tout fait pour respecter les règles sanitaires «et ça marchait très bien», témoigne la restauratrice. «Les personnes âgées, qui représentent une bonne partie de ma clientèle, étaient heureuses de pouvoir sortir au restaurant et je trouvais même émouvant leur manière de respecter les gestes barrières, de porter le masque dès qu’elles se levaient. Tout cela était bien rôdé et nous avions investi dans du matériel de protection, donc tout le monde se sentait en sécurité», poursuit-elle.
Et puis quoi ? Il faudra tout recommencer dans la crainte de voir tout s’effondrer encore une fois ?
Cela n’a pas empêché le gouvernement de boucler tout le secteur du jour au lendemain. «Ça aussi c’était fort de café ! On a été prévenus comme tout le monde à la dernière minute en suivant les nouvelles. Je ne parle pas seulement des soucis de stock, pour le premier confinement nous avions tout distribué. Je pense aussi à la détresse psychologique de ma clientèle âgée dont je viens de parler, et à celle de tous ceux qui ont appris de manière assez brutale que leur vie sociale allait s’arrêter pour un temps indéterminé», ajoute-t-elle.
Elle espère aujourd’hui que le gouvernement sera en mesure d’annoncer très bientôt une date de réouverture des bars et restaurants, histoire de pouvoir s’organiser. «Si on est prévenus à la dernière minute, ce sera encore la catastrophe parce que tout le monde va passer ses commandes en même temps. Les livreurs n’arriveront pas à satisfaire tout le monde à l’heure et certains restaurants seront livrés à midi, comme c’était le cas après le premier confinement.»
«Et puis quoi ? Il faudra tout recommencer dans la crainte de voir tout s’effondrer encore une fois ? On est à quelques années de la retraite toute proche et non seulement on épuise nos réserves pour garder la tête hors de l’eau, mais en plus il nous faudra certainement travailler plus longtemps pour nous rétablir complètement. Encore faut-il en avoir envie», conclut Stéphanie.
Mercredi, comme beaucoup de ses amis cafetiers ou restaurateurs, elle avait le moral dans les chaussettes, subissant le désastre psychologique de plein fouet avec le sentiment d’avoir été oubliée.
Geneviève Montaigu