Maxime*, un jeune Luxembourgeois de 20 ans qui vit dans le sud du pays, a été contraint d’avouer son homosexualité à des membres de sa famille en plein confinement. Il témoigne.
J’ai pris conscience de mon homosexualité très jeune, je devais avoir environ dix ans. Ça peut paraître stéréotypé de dire cela, mais j’avais essentiellement des amies et cette envie de faire comme dans les films : être entre copines, participer à des soirées pyjama et parler de garçons. C’est d’ailleurs vraiment le fait de parler des garçons qui m’a fait réaliser que j’étais homosexuel.
Au début, je l’avoue, je l’ai un peu renié. J’étais jeune, je n’avais pas vraiment la connaissance de l’homosexualité comme je peux l’avoir aujourd’hui : je pensais que c’était quelque chose qui allait passer, comme on l’entend souvent dire, notamment par les parents – «c’est juste un passage», «c’est une manière de se rendre intéressant», etc. J’avais donc décidé de ne pas trop y prêter attention. J’éprouvais aussi un peu de peur parce que je pensais que j’étais le seul à ressentir cela.
Je n’en ai parlé à personne, excepté une fois à ma sœur, plus âgée (nous avons douze ans d’écart) et dont je suis très proche, qui m’avait demandé ce que j’aimais bien chez les gens. J’ai tout de suite donné des traits de caractère dits «masculins» : protecteur, grand, des cheveux bruns… et j’ai avoué que j’aimais bien les princes dans les Disney. Elle m’avait répondu que ce n’était rien de grave, que c’était normal puis on n’en a plus vraiment parlé.
La première fois que j’ai vraiment annoncé mon homosexualité, c’était à ma mère, après un voyage Erasmus de quatre semaines à Berlin. J’avais alors 14 ans et là-bas, j’ai rencontré un garçon ouvertement gay. C’était ma première histoire d’amour, et à mon retour, j’étais complètement dévasté de ne plus pouvoir le voir. Ma mère m’a alors demandé ce qui c’était passé là-bas. Je lui ai dit que j’étais tombé amoureux d’un garçon. Ça a été un véritable choc pour elle. Comme j’étais toujours très entouré de filles, elle était persuadée que j’allais sortir avec l’une d’entre elles et se projetait même déjà grand-mère! Mais par la suite, elle m’a dit que je resterai toujours son fils, c’est juste que c’était une nouvelle à laquelle elle ne s’attendait pas.
J’ai eu beaucoup de chance, car ma mère est très ouverte d’esprit. Ma meilleure amie, qui s’est révélée lesbienne, a elle été renvoyée par ses parents dans son pays d’origine, la Roumanie, lorsqu’elle leur a annoncé son homosexualité. Ils ne l’ont pas du tout acceptée et craignaient que ça jase autour d’eux.
Avec mon père, dont ma mère est séparée, ça a été extrêmement difficile parce que je n’avais pas une très bonne relation déjà à la base avec lui. Le jour où il l’a su, il m’a juste dit que de toute façon, pour lui, j’étais le fils de ma mère et pas son fils à lui. Il ne voulait pas non plus que sa nouvelle épouse l’apprenne, auquel cas je ne pourrais plus aller voir mes demi-frères et demi-sœurs.
Je n’imaginais pas qu’un parent puisse penser de cette façon, qu’il puisse dire à son enfant, son premier fils, qu’il ne fait plus partie de sa vie juste parce qu’il n’est pas celui qu’il imaginait.
Dans ma tête, c’était juste comme si j’avais un petit secret que je n’avais jusque-là avoué à personne. Je reste toujours moi, j’interagis de la même manière avec les gens, je m’exprime de la même façon. Je reste Maxime, celui qui rigole tout le temps, celui qui est compliqué en matière de mode ou de nourriture! Le fait d’être homosexuel pour moi n’était qu’un petit détail qui ne regardait que moi, car ce que je fais de ma vie amoureuse ne concerne que moi. J’ai donc été dévasté par sa réaction. Il m’a fallu du temps pour me remettre de ce message.
Toutes ces expériences m’ont donné une force de caractère. Je suis qui je veux être
J’ai eu besoin d’un suivi, d’autant que lorsque j’ai fait mon coming out à l’école, en Belgique, j’ai rencontré des élèves aussi bien que des professeurs homophobes. Une fois, juste parce que j’étais homosexuel, j’ai été enfermé dans les vestiaires et des élèves ont mis en route les douches. Pendant une heure et demie, j’étais trempé, sous les douches froides. J’ai aussi dû changer d’école parce qu’un prof ne voulait pas que je participe à son cours du fait que j’étais gay. Il y a eu l’intervention d’un médiateur, mais ça n’a pas vraiment arrangé les choses.
J’en ai développé une anxiété sociale. J’étais qui je voulais être, quelqu’un qui assumait son homosexualité, qui n’avait plus peur de tenir la main à son copain, mais j’ai alors à nouveau ressenti cette peur. Juste parce que je suis qui je suis! Pourtant, ce n’est pas moi qui l’ai choisi. Si j’avais eu le choix entre être hétérosexuel ou être perpétuellement jugé ou questionné, je suppose que j’aurais fait le choix d’être hétérosexuel. C’est quelque chose que les gens ne comprennent pas.
Ces expériences ont toutefois forgé mon caractère. J’en ai fait une force. Et aujourd’hui, s’il y en a qui n’acceptent pas mon homosexualité, tant pis. Je n’ai pas besoin de les avoir près de moi.
Mais pendant le confinement, j’ai dû à nouveau faire mon coming out. Je suis en effet allé loger chez mes tantes et ma grand-mère, toutes trois très catholiques. Ma mère, qui est infirmière, a été réquisitionnée par la réserve sanitaire pour une tournée Covid, et elle a dû dormir à l’hôtel. Comme je suis diabétique et que j’ai des problèmes cardiaques, elle ne souhaitait pas que je reste seul. Mais mes tantes et ma grand-mère, des Espagnoles qui viennent tout juste d’arriver dans le pays, n’étaient pas au courant de mon homosexualité. Je n’avais pas peur de faire mon coming out et comme je souhaitais voir mon petit copain durant cette période, j’ai envisagé de le leur dire, mais j’étais néanmoins mitigé à l’idée de leur faire cette révélation pendant le confinement alors que j’étais coincé avec elles.
La manière dont elles l’ont finalement appris est un peu drôle! J’avais donné l’adresse de mes tantes à mon petit ami en lui précisant de ne pas rentrer – nous sommes ensemble depuis plusieurs mois et il est considéré comme un membre de la famille, donc il a l’habitude de sonner et d’entrer directement chez les personnes chez qui je me trouve. Mais ce soir-là, il n’a pas fait attention, il est quand même entré et m’a embrassé. Mes tantes l’ont vu.
S’en est suivie une discussion assez longue qui a duré jusqu’à trois heures du matin. J’ai dû expliquer que je suis comme ça, que ce n’est pas une maladie, que ce n’est pas quelque chose que j’ai attrapé en allant à Berlin ou en mangeant un sandwich à la pompe à essence, ou qui aurait pu être évité si j’étais allé à la messe tous les dimanches matin.
Elles pensaient qu’elles pouvaient me sauver, mais je ne veux pas être sauvé !
Pour ma grand-mère, il n’y a pas eu de problème : cela ne changeait rien, j’étais son petit-fils, point barre. Par contre pour mes tantes, ça s’est avéré beaucoup plus compliqué. Déjà, le fait que je ne sois pas catholique est un problème, alors en plus homosexuel… Pour elles, c’était la preuve que Jésus aurait pu me sauver. Elles n’ont pas essayé de comprendre, mais de justifier le fait que je sois gay en disant des phrases comme : «C’est parce que tu n’as pas eu de père», «ta mère t’a toujours donné trop de libertés», «tu n’es jamais allé à la messe», etc. À la fin, c’était agaçant, voire toxique, car c’étaient en fait des reproches.
Le confinement a donc été compliqué, d’autant que je n’avais pas d’échappatoire en allant voir mes amis par exemple. Elles ont fait des choses qu’elles n’avaient jamais fait auparavant, comme m’obliger à suivre les messes télévisées, prier, ne pas manger de viande le vendredi, lire la Bible… Je l’ai accepté juste pour éviter les tensions, mais cela a fortement nui à mon moral.
Elles pensaient que c’était quelque chose dont elles pouvaient me sauver. Mais je ne veux pas être sauvé! C’est ma vie, je suis heureux comme cela. C’est douloureux de constater que les gens croient que je suis malheureux en tant qu’homosexuel. Ils ne peuvent pas se mettre à ma place, ils ne vivent pas ce que je vis. Cet amour que je ressens est le même que celui qu’un homme peut avoir pour une femme. C’est juste que j’aime les hommes.
Je resterai malgré tout en contact avec mes tantes parce que c’est la famille! Il y a énormément de personnes qui n’acceptent pas l’homosexualité. Tant que celles-ci ne vont pas à l’encontre de mes droits, qu’elles ne me discriminent pas, elles peuvent avoir leur propre opinion.
J’aimerais d’ailleurs faire passer ce message aux jeunes qui sont en train de faire leur coming out : être gay, c’est quelque chose qui fait partie de nous. Certes, c’est comme avoir un grand grain de beauté en plein visage, c’est une étiquette. Mais c’est aussi une opportunité de renforcer son caractère.
J’ai énormément déménagé et changé d’école. À chaque fois, j’étais le nouveau et en plus, j’étais le gay. C’était encore et toujours les mêmes situations, mais maintenant je sais dire ce que je ressens, comment je me pose. La communication est très importante.
Mais on a aussi le droit et le choix de ne pas le dire. J’avais d’ailleurs au départ décidé de ne pas dire que j’étais gay dans mon école d’infirmier, ma vie amoureuse ne regarde personne. Mais mes camarades l’ont découvert via Facebook. Ma réaction auprès d’eux? « Oui, et alors? Ça change quoi? Je suis toujours le même. » Ça n’a en fait posé de problème à personne et si ça avait été le cas, je préfère le savoir maintenant plutôt qu’à la fin de l’année et prendre tout de suite mes distances avec cette personne.
Je suis conscient que faire mon coming out est un processus qui va se répéter, qui va me suivre toute ma vie. Je ne l’ai pas choisi, ça m’a été imposé, mais il vaut mieux que je vive bien avec cela plutôt que mal, non?»
Entretien avec Tatiana Salvan
*Le prénom a été changé.
«Un coming out, ce n’est pas seulement révéler à son entourage son orientation sexuelle ou son identité de genre, c’est un processus de développement qui commence pour beaucoup de gens tout au départ, dès la prise de conscience que «j’existe», et qui n’est jamais complètement terminé : même si on est une personne out dans un contexte donné, on va être amené à devoir répondre à des questions, à se justifier dès que l’on change d’environnement, que l’on rencontre de nouvelles personnes», résume Roby Antony, sociopédagogue au Centre d’information gay et lesbien (le Cigale) de Luxembourg.
Ce processus se déroule en plusieurs phases : révélation à soi-même de ce que l’on ressent, acceptation progressive avec, en fonction de son environnement, la nécessité de surmonter les sentiments négatifs de peur, de gêne, d’impression d’être contre-nature, etc., puis révélation à quelqu’un d’extérieur. Un temps de réflexion sur soi nécessaire, temps qu’il convient parfois de laisser aussi à son entourage pour digérer la nouvelle.
«Très souvent, les personnes prennent des mois, parfois des années – des décennies même pour certains –, avant de se révéler à qui que ce soit. Mais lorsqu’on a une première expérience de révélation suivie d’un retour positif, cela va permettre de renforcer l’estime et la confiance en soi. Et au bout d’un moment, il va y avoir une sorte d’autodynamique», note Roby Antony.
Pour le professionnel, faire son coming out demeure donc quelque chose qui «se prépare» : il faut se poser certaines questions à soi-même, mais également savoir ce que l’on va dire exactement et à qui. De fait, à l’instar d’autres instances de soutien à la communauté LGBTQI+, il déconseillait de se révéler pendant le confinement. «Si les choses se passent mal, il y a un risque de maltraitance, parfois physique, même si elle n’est pas voulue, engendrée par le manque de compréhension et le questionnement répétitif. Il est parfois nécessaire de faire une pause pendant la discussion, de sortir se changer les idées, ce qui n’était pas possible pendant le confinement.»
L’équipe du Cigale est néanmoins restée disponible durant cette période, par téléphone et courriel. «En cas d’urgence et de grande détresse, nous aurions pu envisager des consultations en présentiel (avec respect des gestes barrières), voire contacter le parquet et la police. Nous n’avons a priori eu ni plus ni moins d’appels qu’à l’accoutumée. J’ai même l’impression que pour certains, qui ont pu rester à la maison, cette période a été bénéfique, leur permettant de souffler un petit peu et de se pencher sur certaines questions mises de côté pendant longtemps. Des parents ont aussi appelé pour savoir comment gérer au mieux le bien-être de leur enfant qui s’était révélé trans pendant le confinement.» Toutefois, comme insiste Roby Antony, il ne s’agit là que d’un échantillon non représentatif. «Quand il y a des problèmes, malheureusement, cela prend parfois du temps avant de nous être rapporté.»
T. S.