Le professeur Bertrand Dautzenberg, figure de la lutte contre le tabac en France, estime ce jeudi sur FranceInfo que les augmentations du prix des cigarettes en France (paquet à 10 euros) doivent être accompagnées d’une lutte européenne contre le dumping pratiqué par certains pays sur le tabac, à commencer par le Luxembourg.
Voilà des propos qui vont faire polémique. Le professeur Bertrand Dautzenberg, pneumologue à l’Hôpital de la Salpêtrière à Paris, étrille la politique luxembourgeoise sur la vente à faible coût des paquets de cigarettes.
Partisan du paquet de tabac à 10 euros du côté français, le praticien estime que la contrebande est un phénomène qui touche surtout l’Angleterre. Les saisies réalisées en France ont en fait plutôt destination à être écoulée outre-Manche. En revanche, le professeur met l’accent sur le problème des achats transfrontaliers : « il y a des accords avec l’Andorre par exemple et il faudrait que le Luxembourg ait une attitude responsable. Maintenant que sur chaque paquet de cigarettes il y a une traçabilité, on voit que les Luxembourgeois achètent 5 ou 6 fois plus de cigarettes qu’il n’en consomment : je pense qu’ils les achètent pour les brûler dans leur cheminée ou alors pour faire du trafic de taxes, mais il y a un moment où il faudra que les autres pays européens demandent au Luxembourg de payer les taxes qu’il vole. »
Plus haut dans l’entretien il estime aussi que : » le Luxembourg en particulier est un grand prédateur de taxes en Europe : 20% des revenus du Luxembourg sont des taxes volées aux autres pays européens sur le tabac, l’alcool et l’essence qu’ils vendent moins cher alors que c’est le pays le plus riche d’Europe. »
Nuançons un peu…
On peut estimer que le problème soulevé est réel mais que l’attaque est disproportionnée. Il y a certes un problème de concurrence imbattable sur le carburant et les cigarettes au Grand-Duché, et donc, un aspirateur à TVA énorme pour les pays voisins, en même temps qu’un caillou dans leurs éventuelles politiques de santé publique ou d’environnement.
L’affirmation est nettement moins vraie pour l’alcool, où les grandes surfaces belges et françaises arrivent désormais à s’aligner sur le prix des pompes à la frontière, ou du moins à s’en rapprocher.
L’affirmation « des 20% des revenus du Luxembourg sont des taxes volées aux autres pays européens sur le tabac, l’alcool et l’essence » est pour le coup fausse. Certes les taxes et accises représentent une ressource importante dans le budget national, dans un jeu de vases communicants avec les voisins : l’État a encaissé deux milliards d’euros provenant des taxes sur les carburants, le tabac, l’alcool et les droits de concession. Mais cela donne environ 9,8 % des recettes globales de l’État au final, pas 20 % !
Quant aux Luxembourgeois qui achètent « 5 à 6 fois plus de cigarettes qu’ils n’en consomment » : cette réalité prend-elle en compte le phénomène frontalier ? Probablement non. Avec la moitié de sa main d’oeuvre qui vient tous les jours d’Allemagne, de Belgique et surtout de France, le Grand-Duché atteint régulièrement des records de consommation divers et variés (en Pastis aussi par exemple…) En réalité, ces chiffres sont croisés avec le nombre de résidents et non pas le nombre de consommateurs potentiels que compte le pays durant la journée avec les frontaliers (plus de 200 000 actifs), ainsi que les consommateurs des pays voisins ! Ainsi, sur tous ces achats de paquets de cigarette, beaucoup restent consommés en « grande-région » quand-même. Quant à savoir la part qui remonte pour être vendue à Paris, difficile de l’estimer. Les ventes au particulier sont en tous cas limitées à quatre cartouches par individu majeur présent dans une voiture contrôlée à la frontière.
Hubert Gamelon