Le Luxembourg est un petit pays et certains vignerons, notamment les plus petits, sont très dépendants des régions frontalières. Paul Legill, depuis Schengen, ne masque pas son inquiétude.
Installé sur la route du Vin à Schengen, Paul Legill (Caves Paul Legill) est l’exemple même de l’artisan perfectionniste qui ne jure que par le travail bien fait. Il tient en main l’un des plus petits domaines du pays et ce n’est absolument pas une contrainte mais un choix assumé. Sa vision du métier de vigneron consiste à tout maîtriser et à tout gérer de A jusqu’à Z. Il effectue l’ensemble des travaux dans la vigne (aidé par une poignée de saisonniers quand il le faut) et aussi à la cave.
Un vignoble transfrontalier avec la Lorraine
C’est une philosophie mais aujourd’hui aussi la cause de bien des tourments. «Je suis déjà soulagé parce que j’ai eu l’autorisation d’aller travailler sur mes vignes françaises», souffle-t-il. Alors que la frontière franco-luxembourgeoises n’est ouverte qu’aux porteurs d’une autorisation en bonne et due forme, la finalité n’était pas si évidente et pourtant, elle était primordiale : 30 % de la superficie de ce domaine se situe en France, sur les coteaux du Stromberg et les hauteurs de Contz-les-Bains. Il les vinifie sous l’appellation transfrontalière Coteaux de Schengen, une rareté au niveau mondial. «Sans cette autorisation, étant donné que l’on ne sait pas combien de temps durera la situation, il y avait le risque de perdre la récolte 2020», avance-t-il.
Cette question est réglée, mais pas encore celle de la venue de ses saisonniers français (souvent des retraités lorrains expérimentés) qui viennent sur ses vignes luxembourgeoises depuis des années. «Avec leur statut, je ne sais pas s’ils pourront obtenir l’autorisation pour passer la frontière… et pourtant, je vais avoir besoin d’eux.»
Prestataire allemand chez d’autres
Il n’y a pas que la frontière franco-luxembourgeoise qui soit un enjeu. Celle avec l’Allemagne est également devenue une préoccupation majeure. «Je ne possède pas d’installation pour mettre mon vin en bouteille moi-même, explique Paul Legill. Économiquement, avec la taille de mon domaine, cela n’aurait pas de sens.» Lorsque les vins qui grandissent dans ses cuves sont prêts, il fait donc appel à un prestataire allemand qui vient de Trèves. Il n’est d’ailleurs pas le seul client luxembourgeois de cette société qui connaît bien la Moselle.
Le prestataire vient avec un camion dont la remorque contient toutes les machines nécessaires pour mettre le vin en bouteille, le boucher et l’étiqueter. L’opération prend la journée et il faut environ une demi-douzaine de personnes pour réaliser tout le travail. Habituellement, il s’agit d’une formalité où tout est parfaitement huilé. Mais à l’heure actuelle, toutes les certitudes s’envolent… «J’ai appelé la société et elle-même ne sait pas si elle pourra venir, nous sommes dans le flou le plus total car les deux côtés de la frontière doivent se mettre d’accord.» La soudaineté de la fermeture des frontières l’a complètement pris de court. «Il y a quelques jours, on n’imaginait même pas une situation comme celle-là…»
Le souci, c’est qu’en restant dans les cuves trop longtemps, les vins risqueraient de lancer une deuxième fermentation qui serait catastrophique. «C’est vraiment compliqué, l’avenir des vins de 2019 m’inquiètent… Il faut absolument que je puisse les embouteiller avant l’été pour éviter une catastrophe.» Et au cas où… «Il faudra trouver une solution, mais le faire ailleurs est vraiment compliqué. On ne déplace pas du vin en cuve comme cela…»
Alors finalement, la baisse des ventes qu’il constate depuis une semaine semble presque anecdotique. Le vin qui est en bouteille, lui, peut bien attendre un peu avant d’être acheté et bu. Même si, là aussi, l’urgence finira bien par survenir si le confinement s’éternise… «On voit bien que le vin, pour l’instant, n’est pas une priorité ce que je comprends très bien : c’est un luxe dont on peut se passer.» Pas trop longtemps quand même…
Erwan Nonet
Les vignerons ne sont pas confinés
Mercredi dernier, le ministère de l’Agriculture a confirmé que les agriculteurs – et donc les vignerons – avaient l’autorisation de travailler sur leurs terres. «Les agriculteurs ainsi que les professionnels du secteur agricole peuvent poursuivre entièrement leur activité, sous réserve qu’ils n’accueillent pas de public et qu’ils respectent les gestes barrières», indiquait le ministre Romain Schneider. «Les agriculteurs ainsi que tous les professionnels du secteur sont un pilier essentiel et indispensable dans l’approvisionnement de la chaîne alimentaire, vitale pour toute la population», ajoutait-il.
Et cela tombe bien car du travail, il y en a en ce moment ! «Il faut attacher les brins aux fils de fer, réparer les poteaux abîmés… il y a encore beaucoup à faire!», avance Frank Schumacher (domaine Schumacher-Lethal, à Wintrange). Ces tâches sont indispensables à la bonne croissance de la plante. Si on ne les effectue pas, c’est déjà la récolte qui est en péril. Du coup, les employés ne sont pas confinés : «Tout le monde travaille dehors, en respectant bien les consignes de rester à deux mètres les uns des autres au minimum», assure Frank Schumacher.