Il y a 20 ans tout juste, Yves Sunnen (domaine Sunnen-Hoffmann, à Remerschen) devenait le premier vigneron luxembourgeois à travailler en bio (et même en biodynamie depuis 2011). Sa nièce, Marie, l’a rejoint pour poursuivre son engagement.
Un anniversaire, surtout lorsqu’il tombe sur un compte rond, dirige naturellement le regard vers l’arrière, histoire d’appréhender le temps écoulé depuis ce point zéro qui s’éloigne inéluctablement. Les 20 ans de la conversion en bio du domaine Sunnen-Hoffmann ne dérogent pas à la règle. Comment le pourraient-ils, alors qu’Yves Sunnen et sa sœur Corinne Kox-Sunnen ont posé un jalon essentiel de la viticulture luxembourgeoise en étant les pionniers du bio?
À l’époque, cela n’avait rien d’évident, d’autant qu’en étant les premiers, la fratrie a essuyé les plâtres. «Contrairement à aujourd’hui, où nous pouvons profiter des conseils de l’IBLA (NDLR : l’Institut pour l’agriculture biologique et la culture agraire) et de l’IVV (l’Institut viti-vinicole), il n’y avait personne pour répondre à nos questions, explique Yves Sunnen. Il fallait aller chercher les réponses chez les collègues allemands ou français… et suivre beaucoup de séminaires!»
Depuis, quelques collègues les ont rejoints, dont Guy Krier (domaine Krier-Welbes, à Ellange-Gare), Jean-Paul Krier (domaine Krier-Bisenius, à Bech-Kleinmacher) ou tout récemment la famille Schmit (domaine Schmit-Fohl, à Ahn). Un élan vers le bio toutefois bien mesuré, puisque seules 4 % des vignes luxembourgeoises sont certifiées.
Yves Sunnen est légitimement fier de ces deux décennies sans produits chimiques de synthèse. Il est d’ailleurs encore plus convaincu aujourd’hui qu’hier. «Il faut du temps pour constater les bienfaits du bio et de la biodynamie, au moins une bonne dizaine d’années, explique-t-il. Maintenant, je peux dire que c’était la bonne voie à suivre. Mes sols sont riches, sains et les vignes vigoureuses, beaucoup plus résistantes. En 2016, une année humide, que le mildiou a rendue très compliquée, j’ai aimé les voir résister à la propagation des champignons. Elles étaient souvent en meilleure forme que celles des voisins, qui recevaient pourtant des traitements phytosanitaires.» Car là est l’objectif du bio, et encore davantage de la biodynamie : «Il faut trouver le meilleur équilibre possible entre tous les éléments pour que la vigne puisse trouver d’elle-même les ressources pour surmonter les coups durs.»
Le travail à la vigne est essentiel, pour lui de loin le plus important. «En cave, Il faut agir le moins possible pour guider la fermentation sans la contraindre, glisse Yves Sunnen. Toutes nos fermentations sont désormais spontanées, c’est-à-dire qu’elles se font avec les levures naturellement présentes dans l’air. En agissant ainsi, nous sommes au plus près de la réalité des cépages et des terroirs.»
Marie assure la relève
Cet engagement, le vigneron est aujourd’hui ravi de le transmettre à la génération suivante. Marie, la fille de Corinne et d’Henri Kox (le ministre du Logement et de la Sécurité Intérieure), a rejoint le domaine après des études universitaires à Vienne (Autriche) et Montpellier. «Je suis convaincue de la pertinence du bio et de la biodynamie, affirme-t-elle. En fait, il suffit d’observer les vignes pour voir qu’elles sont en bonne santé, épanouies et dans un environnement idéal.»
Des convictions qui n’étaient d’ailleurs pas toujours évidentes à porter à la fac… «C’est vrai que l’essentiel des cours portaient sur la viticulture conventionnelle, sourit-elle. En tout, je n’ai eu que deux heures sur la biodynamie… L’enseignement était très classique, surtout en France d’ailleurs. Se motiver pour apprendre comment utiliser les produits de synthèse, alors que je savais très bien que je n’en utiliserais jamais de ma vie, ce n’était pas évident!»
Aujourd’hui, l’oncle et la nièce travaillent main dans la main, en toute confiance. Ils ne séparent d’ailleurs pas les tâches (l’un en cave, l’autre à la vigne par exemple) et préfèrent s’épauler continuellement. «Je fais même mes plans de traitement!» sourit Marie, visiblement contente de recevoir la confiance de son aîné.
Et l’avenir? Comme Yves Sunnen, Marie ne le voit pas dans la démesure. «Nous avons 9,5 hectares et je trouve que c’est une dimension qui nous permet de bien maîtriser l’ensemble de la production. Et puis, de toute façon, il n’y a plus de place dans la cave!» D’autant plus que la part du crémant monte désormais à 40 % de la production totale, ce qui génère un sacré volume de stockage (entre 15 mois et trois ans, selon les cuvées).
Créé en 1872, le domaine Sunnen-Hoffmann est riche d’une longue histoire, mais il y a encore de très belles pages à écrire. C’est une certitude.
Erwan Nonet
Biodynamie : et pourtant, ça marche!
Le domaine Sunnen-Hoffmann travaille selon les règles de la biodynamie depuis 2011. Pendant longtemps certifié par Demeter (le plus important organisme), il ne l’est plus depuis quelques années, uniquement parce qu’apposer le logo est onéreux. La maison réfléchit toutefois à revenir prochainement dans le giron du certificateur.
Parfois, la biodynamie provoque des sourires chez certains consommateurs pas toujours bien avisés. Évidemment, certaines pratiques interrogent. Quel peut bien être l’intérêt d’enterrer à l’équinoxe d’automne des cornes remplies de bouse de vache pour les sortir à l’équinoxe de printemps, avant de les pulvériser très diluées un peu plus tard? Pourquoi asperger les vignes et le compost de décoctions à base de plantes médicinales (camomille, achillée millefeuilles, ortie, écorce de chêne, pissenlit, valériane…) diluées selon des méthodes très précises?
Oui, on peut se poser ces questions. Les procédés sont étranges, d’autant que la science peine à expliquer pourquoi ces actes seraient efficaces. Ceci dit, quand on y réfléchit, ces pratiques ne sont pas plus aberrantes que le fait de vider le sol de sa biodiversité pour le remplir d’engrais chimiques, comme on l’a fait pendant longtemps…
Mais si les scientifiques n’expliquent pas tout, ils constatent tout de même que ça marche! De 2014 à 2017, l’Institut national de recherche agronomique (INRA) de Dijon a réalisé des expériences sur 30 hectares (avec 8 vignerons en conventionnel et 3 en biodynamie, toutes en Alsace) et les résultats sont clairs : les vignes biodynamiques se défendent mieux contre les aléas climatiques et les attaques des différents pathogènes. À l’université de Geisenheim (dans le Rheingau), Georg Meissner réalise depuis 2006 des essais comparatifs avec des vignes conventionnelles, bios et en biodynamie. Il a montré que les sols des vignes bios contiennent 50 % de lombrics en plus que les vignes conventionnelles, un taux qui monte à 93 % pour celles en biodynamie. Or les vers de terre sont essentiels pour la décomposition des matières organiques qui créera l’humus.
Romanée-Conti, Cristal Roederer, Palmer, Yquem…
Dans son livre Vin et biodynamie, une philosophie de vie (éditions Apogée), Pierre Guigui fait une intéressante remarque. En France, 12 % des vignes sont bios et moins de 1 % sont en biodynamie. Pourtant, parmi les domaines récompensés de trois étoiles dans l’édition 2020 du Guide des meilleurs vins de France (édité par la Revue du vin de France), l’auteur recense 46 % de domaines bios et 15,5 % de domaines biodynamistes. Des pourcentages qui sont bien au-delà du ratio initial.
Autre exemple, lors du Concours mondial de Bruxelles 2018, parmi les 9 180 vins dégustés, 11,8 % étaient bios ou biodynamiques. Eh bien, ils représentaient 30 % des médaillés. Là encore, leur surreprésentation est manifeste.
Et puis, si la biodynamie n’était que poudre de perlimpinpin, comment expliquer que les domaines de la Romanée-Conti, Leroy ou Leflaive (Bourgogne), Cristal Roederer (Champagne), Pontet-Canet, Palmer (Bordeaux) s’en revendiquent? Même le château d’Yquem (Sauternes) vient de communiquer le début de sa conversion! Après tout, qu’importe le pourquoi tant les bienfaits, dans le verre, sont indéniables.