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Série d’été Unesco : les refuges des puissants à Luxembourg


Pendant plusieurs siècles, les puissants du Grand-Duché se réunissaient à Luxembourg pour leurs affaires. Afin d'être en lieu sûr, ils établissaient de luxueux refuges. (photo archives lq/françois aussems)

Cet été, l’Unesco nous fait redécouvrir les trésors classés de Luxembourg à travers différentes thématiques déclinées en six articles. La semaine dernière, nous parlions des souterrains qui ont fait la force défensive de Luxembourg. Une protection puissante qui, malgré les attaques, a permis aux activités du clergé, des seigneurs ou des aristocrates de se poursuivre. Ces derniers logeaient à la ville dans leurs propres refuges, des bâtiments emblématiques que l’on connaît bien, sans soupçonner leur histoire…

Pour comprendre l’existence des refuges à Luxembourg, il faut recontextualiser ce passé lointain fait de guerres, où la garnison changeait sans cesse de nationalité (espagnole, française, autrichienne…). Dans ce climat tendu, il a fallu trouver des parades pour que la vie, son commerce et ses lieux de pouvoir continuent. Dans la zone classée au patrimoine mondial de l’Unesco, ces refuges sont restés aujourd’hui des bâtiments emblématiques et imposants.

Robert L. Philippart, site manager de l’Unesco, nous aide à comprendre ces bâtiments d’influence : «La ville était un lieu de rassemblement autour de ce qu’on appelait le souverain ou la représentation du souverain, c’est-à-dire l’administration centrale du Duché du Luxembourg.» La population de la ville est composée d’une part «de ce qu’on nommerait aujourd’hui la fonction publique. D’autre part, grâce au collège des jésuites, il y avait un nombre important d’étudiants en ville qui se mêlaient aux soldats. Certains venaient même de la région wallonne car la province du Luxembourg (province belge) faisait partie du Duché du Luxembourg et les jeunes de Libramont, par exemple, venaient s’inscrire au collège des jésuites. Puis il y avait les artisans qui vivaient de ce marché que représentaient ces gens, ainsi que les congrégations et les ordres cléricaux.»

«À l’abri des remparts, à côté des décideurs»

En 1244, la comtesse Ermesinde remet à Luxembourg ses lettres d’affranchissement, ce qui permet à la ville de tenir marché, d’échapper à certains impôts «qu’on appelait ‘corvée’ à l’époque. La ville pouvait aussi tenir justice et avoir ses propres poids et mesures», précise Robert L. Philippart. Ces libertés permettent à Jean l’Aveugle en 1340 d’instaurer la Schueberfouer, «la plus grande foire pour faire de Luxembourg un lieu mercantile entre Saint-Gothard (Suisse) et les villes de Flandres. Cela lui donnait un attrait. Luxembourg était une ville-étape importante, pas autant que Francfort ni Strasbourg, mais elle devait avoir un atout supplémentaire.»

Grâce à cette foire, les habitants avaient une ouverture sur le monde tout en étant protégés par les remparts. Malgré tout, «comme les temps étaient pour le moins incertains, les aristocrates les plus importants et le clergé avaient un refuge à l’intérieur de la place forte. Il ne s’agit pas d’un refuge de randonneurs, sourit le site manager de l’Unesco, mais d’un endroit où l’on remet, place et garde sa fortune. On peut aussi y être en sécurité en cas d’attaque.

On vient dans son refuge pour gérer ses affaires : imaginez que vous venez d’Echternach (comme le faisait l’abbé de cette ville) pour gérer vos affaires à Luxembourg. Vous ne pouviez pas rentrer le même jour. À cheval, c’était trop long. De plus, les portes de la ville étaient fermées le soir, il n’y avait pas la libre circulation comme aujourd’hui. Donc vous aviez un refuge où vous étiez sûr de ne pas être dévalisé, à l’abri des remparts et à côté des décideurs.»

Le refuge était composé de lieux où l’on stockait des biens : des tonneaux, du foin, tout ce qui représentait une richesse en nature, mais aussi de l’argent liquide. C’était aussi un lieu de représentation, en quelque sorte comme une ambassade. «En tant que prélat par exemple, vous étiez aussi représenté par votre refuge dans la ville forteresse», explique Robert L. Philippart. Ces lieux étaient tenus par l’aristocratie, le clergé, les couvents, «c’est ceux qui composeront plus tard, avec le tiers état, la Chambre des députés. Ils détenaient le pouvoir et se rassemblaient à l’hôtel de ville».

La fin de l’aristocratie sonne le glas des refuges

Parmi ces refuges construits pour résister aux bombardements, on trouvait celui des seigneurs de ville, rue du Saint-Esprit (aujourd’hui l’administration des Bâtiments publics s’est établie dans ce bâtiment). Dans le refuge du couvent de l’abbaye d’Orval s’est installé désormais le Lëtzebuerg City Museum. Le refuge des dominicaines de Marienthal dans la rue Notre-Dame est maintenant intégré dans le Bierger-Center. Le refuge Saint-Maximin fut construit en 1751 comme refuge des moines de l’abbaye Saint-Maximin, à Trèves. C’est un bâtiment bien connu puisque le ministère des Affaires étrangères a longtemps été présent dans ce bâtiment historique, cédant sa place depuis peu au ministère d’État. Cet édifice est l’un des plus remarquables du style rococo au Luxembourg. Le refuge de l’abbaye d’Echternach (14 rue du Marché-aux-herbes) possède un «magnifique portique», selon Robert L. Philippart, qui précise qu’une copie de son plafond montrant l’Apothéose de Marie-Thérèse est exposée au musée Dräi Eechelen.

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490_0008_15151277_Dossier_Editpress_483352Ces refuges ont été très utiles pendant plusieurs siècles et cessèrent à la fin de l’Ancien Régime (fin XVIIIe) «qui a aboli l’aristocratie, le pouvoir clérical, la société s’est ouverte, rappelle Robert Philippart. Ces refuges sont devenus des biens nationaux qui ont été en partie vendus, en partie transformés en administrations, comme Saint-Maximin, qui a été reconverti en siège du gouverneur et, plus tard seulement, en hôtel du gouvernement, puis en ministère des Affaires étrangères jusqu’à devenir cette année le ministère d’État.»

Grâce à cette reconversion, ces refuges ont été conservés et font aujourd’hui partie du patrimoine culturel reconnu par l’Unesco.

Audrey Libiez