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[Série d’été] Le Stromberg veille sur les vignes des trois frontières


Depuis les vignes du Markusberg, on peut voir la forêt dense qui recouvre le Stromberg (Photo : Erwan Nonet).

Pour ce premier volet de la série Vignes et réserves naturelles, direction Schengen et le Stomberg. De nombreuses vignes luxembourgeoises bordent ou font partie de réserves naturelles. Nous partirons à leur rencontre tout au long du mois d’août et commençons par celles de Schengen, au pied de la réserve forestière du Stromberg.

Le pays des trois frontières est dominé par un massif calcaire aujourd’hui entièrement recouvert de forêts : le Stromberg. La Moselle contourne cette élévation grâce au grand méandre qui file de Contz-les-Bains vers Schengen. Les pentes de ce bloc escarpé aux falaises abruptes veillent sur trois terroirs : deux au Luxembourg (Schengen Fels et Schengen Markusberg) et un en France (le Stromberg, à Contz-les-Bains). Cette configuration, au cœur d’une des régions les plus européennes qui soit, offre une singularité : les vignerons peuvent travailler ces vignes sans se soucier de la nationalité des sols. En effet, grâce à l’appellation Côteaux de Schengen, les crus peuvent provenir de vignes luxembourgeoises, françaises et même allemandes.
Typiquement, ce sont les cépages de la famille des pinots (blanc et gris, désormais aussi chardonnay) qui sont les stars de la région, les sols marneux, riches et fertiles répondant à merveille à leurs besoins. Mais le calcaire coquillier n’est pas loin sur le Markusberg et le Stromberg et les vignerons parviennent également à élever de très beaux rieslings, plus ronds que ceux issus des terroirs du nord de la Moselle luxembourgeoise.

Le remembrement des parcelles de Schengen est déjà ancien. C’est en 1933 que les 85 producteurs travaillant les 25 hectares de vignes de la localité se sont mis d’accord pour réorganiser le vignoble. Le nom même de Markusberg a été attribué en 1936, lors de la célébration de la fin des travaux. Bien placé à l’abri du massif du Stromberg, le Markusberg profite de cette barrière naturelle qui le protège des vents et bien souvent des orages et de la grêle.
Ce massif du Stromberg vaut assurément d’être découvert et plusieurs sentiers de randonnée le traversent. Outre le caractère symbolique de son implantation, au pied des trois frontières, il met en scène des paysages remarquables à l’histoire géologique et humaine passionnantes. Songez, des rives de la Moselle qui vogue à 145 mètres d’altitude jusqu’au sommet du plateau qui culmine à 315 mètres, les couches qui se succèdent se sont formées entre 400 et 230 millions d’années.

Cette ancienneté est primordiale car elle détermine notamment la qualité des terroirs viticoles. Citons par exemple le magnifique Riesling Quartz du Domaine Henri Ruppert, qui est vinifié à partir des vignes d’une parcelle parcourue par une veine de quartzite formée lors de la formation du massif Hercynien qui a vu s’élever haut les Ardennes, l’Hunsrück et l’Eiffel, notamment. La personnalité de ce riesling, très minéral, diffère totalement de celui produit sur le Markusberg, plus gras mais produit seulement à 2 km à vol d’oiseau.

En moins d’un siècle, tout a changé

Mais le Stromberg actuel a également été en grande partie dessiné par l’histoire récente. La dolomie est une roche calcaire dure dont on a extrait des pierres de taille dans les carrières longeant la falaise. Et à partir des années 1920, on y exploitait aussi le gypse, matière première indispensable à la production de plâtre. Les sources révèlent que Jean Beissel fut le premier à l’extraire, suivi en 1932 par les frères Knauf, qui posèrent là les fondations d’une entreprise qui s’est beaucoup développée depuis.

L’extraction des blocs de calcaire et celle du gypse a complètement bouleversé l’aspect du massif qui n’avait rien à voir avec celui que l’on connaît aujourd’hui. Entre 1920 et 1953 (lorsque les mines de gypse ont été abandonnées), plus un arbre ne recouvrait les hauteurs. Lors du creusement des galeries, les roches extraites étaient simplement déversées dans la pente, créant des paysages d’éboulis chaotiques et instables.
La présence d’eau souterraine a causé de nombreux soucis qui ont mené à la fermeture des mines. Le gypse se dissolvant dans l’eau, la fragilisation de l’ensemble a causé de nombreux effondrements dont les stigmates sont visibles sur le plateau, strié de plusieurs failles. En 1953, un glissement de terrain a même fait dévaler un pan du Stromberg de 150 mètres vers la Moselle. Autant le dire, les photos d’époque montrent un relief bien moins bucolique qu’aujourd’hui !

Mais la nature est résiliente et elle a su se reconstruire après l’abandon des mines et des carrières. Une forêt d’érables et de tilleuls a poussé dans les champs d’éboulis. Là où la terre manque, les mousses et les fougères dominent. Quand la pente s’adoucit et que la couche d’humus est plus épaisse, ce sont les hêtres qui se sont naturellement invités. Aujourd’hui classée en tant que réserve forestière, la nature évolue sur le Stromberg de manière complètement libre. La faune apprécie particulièrement ces écosystèmes de constitutions récentes où on les laisse en paix. Les sangliers et les lapins sont légion, mais pas autant que les oiseaux : 60 espèces y ont élu domicile, dont les pics qui raffolent des grands arbres et le hibou grand-duc. De zone surexploitée, le Stromberg est devenue en un demi-siècle un petit paradis. Après l’avoir découvert grosses chaussures aux pieds (les sentiers ne sont pas toujours faciles), on apprécie d’autant plus les vins produits non loin de là. Il n’est vraiment pas compliqué d’y faire de belles découvertes chez les vignerons du coin!

Erwan Nonet

Pour explorer les lieux

Les balades à faire
Sentier de découverte «réserve naturelle Stromberg» : 4,5km, départ sous le pont de Schengen.
Circuit autopédestre : 6,4km, départ sous le pont de Schengen.
Boucle de rêve Schengen sans frontières : 8,1km, départ en face du Musée européen.

À voir aussi
Le Musée européen : pour tout savoir sur le traité européen signé sur le Marie-Astrid en 1985.
Le château de Schengen : son histoire remonte au moins à 1350, mais il a été rebâti depuis. Victor Hugo y a séjourné le 13 septembre 1871 et l’a même dessiné. Le croquis figure sur les étiquettes du domaine Château de Schengen.
La Markusturm : plantée au beau milieu du terroir du Markusberg, on la repère de loin ! Sa date de fondation est inconnue, mais elle a été récemment restaurée. La statue de Saint-Marc, postée dans un coin, est signée Claus Cito, le sculpteur de la Gëlle Frä, à Luxembourg.

Où déguster les vins ?
Domaine Henri Ruppert : la cave iconique de Schengen, bâtie sur les plans de l’architecte François Valentiny. Henri Ruppert est un des meilleurs vignerons du pays, ses vins sont d’une très grande précision. Sa cave est ouverte du mercredi au dimanche, de 15 h à 21 h (1, um Markusberg, tél. : 26 66 54 54).
Caves Paul Legill : Paul Legill ne travaille que des vignes autour de Schengen, dont un tiers en France. Il connaît par cœur toutes ses parcelles et sait tirer le maximum de leur potentiel. Sa salle de dégustation est ouverte sur rendez-vous (27, route du Vin, tél. : 23 66 40 38).
Domaines Vinsmoselle : en plus des vins issus des terroirs de Schengen, la cave coopérative propose aussi un crémant Spirit of Schengen et les crus de la série Côteaux de Schengen. On peut les découvrir à la vinothèque de Remerschen, ouverte du mardi au dimanche de 10 h à 20 h (32, route du Vin, tél. : 23 66 48 26).
Domaine Thill/Château de Schengen : propriété de Bernard Massard, les vins du domaine sont élaborés avec le plus grand soin avec des raisins provenant des alentours de Schengen. Les vins sont à déguster aux caves Bernard Massard, à Grevenmacher (22, route du Vin, tél. : 75 05 45-228/281).