Après le Stromberg à Schengen, voici un nouveau lieu – la réserve du Haff Réimech à Remerschen – qui démontre qu’au Luxembourg comme ailleurs, les paysages ne sont pas figés et que toutes les causes justes méritent d’être défendues.
Il n’est pas inutile de se rappeler, parfois, que tout pourrait être pire. Visualisez le site des étangs de Remerschen. Les lacs, les passerelles en bois pour se rendre aux stations d’observation des 220 espèces d’oiseaux repérées (donc certaines très rares), les roseaux en bord de rive, les vignes tout autour, la statue de Saint-Donat sur le sommet du Felsberg, au loin, un des plus fameux terroirs du pays… On s’y balade en famille, on y pique une tête parfois, on profite du magnifique cadre du Biodiversum pour s’informer sans s’ennuyer sur l’histoire, la faune et la flore de cet écosystème atypique en se disant que, quand même, il y a de beaux endroits au Luxembourg !
Maintenant, imaginez le même lieu, avec les tours de refroidissement d’une centrale nucléaire et les panaches de vapeur d’eau visibles chaque jour à des dizaines de kilomètres à la ronde. Un paysage anxiogène, le tourisme qui frôlerait le néant et les efforts des viticulteurs qui seraient laminés, quoi qu’ils fassent. Toute la région perdrait son attractivité.
Ceci n’est pas une image du futur, heureusement, plutôt la vision d’un passé qui en a fait rêver quelques-uns et honnir beaucoup d’autres ! Dans les années 1970, implanter une centrale nucléaire au Grand-Duché est même devenue une priorité politique. «En 1972, le gouvernement entame l’étude de la construction d’une centrale nucléaire sur le territoire luxembourgeois. Des négociations ont lieu avec la société Rheinisch-Westfälische Energie AG, également partenaire dans la centrale hydroélectrique de pompage à Vianden. Le projet retenu prévoit la construction d’une centrale nucléaire de 1 200 MW sur la Moselle près de Remerschen», explique l’historien Guy Thewes (actuel directeur des deux musées de la Ville de Luxembourg) dans son ouvrage Les Gouvernements du Grand-Duché de Luxembourg depuis 1848 , publié par le Service information et presse du gouvernement (SIP).
Il faut reconnaître que l’époque était tendue. Le prix du baril commençait à monter, provoquant une forte inflation mondiale qui trouverait son apogée avec le premier choc pétrolier de 1973. Par cette volonté, le gouvernement alors présidé par Gaston Thorn visait à diversifier l’approvisionnement énergétique du pays.
Pas d’eau dans le vin des antinucléaires
Le président du gouvernement déclarait ainsi le 30 octobre 1973 : «Le gouvernement vient de décider la création d’une société d’études en vue d’examiner la possibilité et les conditions de l’installation d’une usine nucléaire sur notre territoire (NDLR : la Société luxembourgeoise d’énergie nucléaire SA sera créée en janvier 1974).» Il exprimait très clairement la question de la localisation qui était très clairement exprimée le même mois : «Le Conseil a mis au point les grandes lignes du statut d’une société qui aura pour objet l’étude des possibilités d’aménagement d’une centrale nucléaire dans la région mosellane», retranscrit le Bulletin de documentation du SIP.
Rapidement, la population se mobilise pour marquer son refus catégorique d’un tel projet. La Biergerinitiativ Museldall, initiée par Élisabeth Kox (mère du ministre Henri Kox, des vignerons Laurent et Benoît Kox ainsi que de Jo Kox, premier conseiller de gouvernement au ministère de la Culture), est créée en 1974 et ne cessera sa lutte que lors de l’abandon du programme, en décembre 1977. «L’ampleur du mouvement antinucléaire qui se manifeste sous la forme originale des Biergerinitiativen (associations des citoyens), l’accident à Three Miles Island aux États-Unis, le projet de la France de construire de son côté une centrale nucléaire (NDLR : à Cattenom), expliquent ce changement de cap dans la politique énergétique», relève Guy Thewes. Le 24 juillet 1978, le nouveau président du gouvernement Pierre Werner assure effectivement dans son discours de déclaration générale : «Le gouvernement n’envisage pas, au cours de la présente législature, la réalisation d’une centrale nucléaire sur le territoire national.» L’affaire est entendue !
Aujourd’hui, le foyer du vin bio
Et dire qu’ici, avant 1950, il n’y avait aucun étang. La plaine alluviale était sèche et ce n’est qu’à partir de 1950 que l’exploitation des sables et graviers a commencé à modifier la cartographie des lieux. Les trous d’environ cinq mètres de profondeur se sont remplis d’eau souterraine provenant de sources localisées sous les coteaux. Ce n’est qu’à l’arrêt de l’exploitation sablière dans la vallée que l’idée de la construction d’une centrale nucléaire (associée à un parcours de régates !) est arrivée. Un chantier qui, estimait Gaston Thorn en 1977, devait occuper «entre 500 et 1 500 personnes pendant six à sept ans.
Le projet de classer les étangs en zone naturelle voit le jour dans la foulée de l’abandon du nucléaire. Les berges sont aménagées pour permettre à la faune, à la flore et aux baigneurs d’y trouver des conditions favorables. Sur les 280 hectares d’emprise des étangs de Remerschen, 80 sont classés en tant que réserve naturelle Haff Réimech en 1998. En 2007, l’intégralité intègre les zones Natura 2000. Elle fait désormais aussi partie des zones de protection spéciales «oiseaux» et elle est la première zone Ramsar du Grand-Duché, du nom de la ville iranienne où a été signée la convention qui protège les zones humides d’importance internationale.
Et l’air de rien, la viticulture profite aujourd’hui de la présence des étangs. La masse d’eau se comporte comme un régulateur de températures qui parvient à réchauffer un peu l’atmosphère, un principe qui peut être utile pour parer aux gelées tardives où l’importance des dégâts se joue parfois au degré près.
Enfin, comment ne pas évoquer ce drôle de pied de nez de l’histoire : le premier vignoble biologique du Grand-Duché se trouve précisément à Remerschen ! Le domaine SunnenHoffmann, bio depuis 2001 et en biodynamie depuis 2010, ou la centrale ? Et depuis, Guy Krier (domaine Krier-Welbes, à Ellange-Gare) a multiplié les parcelles bios sur les hauteurs. Non, le Luxembourg n’a pas perdu au change !
De notre collaborateur Erwan Nonet