Serge Steffes est le chef du centre d’incendie et de secours (CIS) d’Echternach. Il nous raconte les inondations du 14 juillet et le déroulement des opérations de sauvetage.
Serge Steffes s’est engagé comme pompier volontaire à 16 ans en 1994, un an après les dernières grandes inondations qui ont touché Echternach. Depuis 2007, il est le chef du centre d’incendie et de secours (CIS) de la ville et pompier professionnel depuis 2018. Il s’occupe de 7 pompiers professionnels et de 70 volontaires.
Quand on pense aux pompiers, on pense au feu ou aux chats dans les arbres, mais rarement aux inondations ou à l’eau.
Serge Steffes : À Echternach, si. Il y a plein de petits cours d’eau, le lac, la Sûre. Nous avons deux bateaux et tous les hommes ont un permis bateau. Nous sommes présents en soutien. Nous n’avons pas le droit de sauter à l’eau pour éviter de nous mettre en danger. Les hommes-grenouilles font la majeure partie du travail dans l’eau, comme les évacuations. Ils sont 62 : 15 sauveteurs et 25 plongeurs étaient sur le terrain il y a deux semaines.
Qu’est-ce qui vous impressionne le plus : le feu ou l’eau?
Le feu est plus simple à maîtriser. L’eau a une force terrible. On peut arrêter le feu, pas l’eau. Elle se faufile partout. On ne peut la contenir. Si on est suffisamment nombreux pour arriver à bloquer un incendie, le feu ne se propage pas. Essayez de bloquer de l’eau, elle trouvera un chemin.
Racontez-nous comment la situation a évolué les 14 et 15 juillet.
Les ruisseaux ont commencé à grossir dans l’après-midi de mercredi. Nous avons commencé à nous inquiéter pour la Sûre qui absorbe leurs eaux et celles de l’Alzette. Le niveau des cours d’eau a monté partout en même temps, tout s’est déversé ici. J’aidais au centre de vaccination à Luxexpo quand on m’a prévenu que nous recevions des demandes de sacs de sable. Nous sommes les seuls, à part l’armée, à avoir une machine pour en faire. J’ai dirigé les opérations au téléphone avant de me faire remplacer et de revenir à Echternach. Mes hommes et moi avons protégé des rues proches de ruisseaux avec des sacs de sable. Il était 15 h, la Sûre n’était pas encore dans nos radars.
Dans la soirée, nous avons reçu un appel de l’état-major nous avertissant d’un HQ 100, les inondations du siècle, qui déferlait vers nous. À 22 h, nous avons convoqué les bourgmestres de la région. À un moment donné, nous étions impuissants. La décision d’alerter les citoyens ou de les évacuer doit venir d’eux. La première évacuation a eu lieu le lendemain à 7 h du matin à Bour et l’après-midi à Echternach. L’armée est venue en soutien.
Jusqu’à ce moment-là, vous étiez en stand-by?
Certains sont restés à la caserne et les autres sont rentrés se reposer. Le courant était tellement fort qu’on n’aurait rien pu faire. Nous avons pompé l’eau hors du sous-sol de Post pour éviter que les télécommunications soient interrompues. (Nous sommes interrompus par une alerte. Un incendie. Serge Steffes doit décaler. Nous avons repris l’entretien plus tard).
Dès qu’il pleut un peu, les gens nous appellent pour demander des sacs de sable.
Que pensez-vous des systèmes d’alerte à la population?
Je ne sais pas si c’est dû aux alertes ou aux inondations de ces dernières années, mais dès qu’il pleut un peu, les gens nous appellent pour demander des sacs de sable. Souvent pour rien. Peut-être que ces alertes les encourageront à ranger leurs caves. La population a changé et ne sait pas nécessairement que l’eau peut monter à certains endroits. Ranger et nettoyer les caves n’est pas notre mission première. À force d’alertes, les gens n’y prêteront plus attention. Il faut trouver un juste milieu, mais c’est difficile.
Les gens vous l’ont-ils reproché?
Certains ont râlé de ne pas avoir vu de pompier dans leurs parages. Nous ne sommes pas des déménageurs. Nous vidons l’eau et évacuons les personnes. Heureusement, la majorité des citoyens sont bienveillants. Nous avons reçu des gâteaux et de la bière, on nous a demandé où faire des dons… Et cette solidarité… Les collègues d’Esch-sur-Alzette, Dudelange, Rumelange sont venus nous aider. On était une centaine, avant 2018 et la réforme des services de secours, on aurait été une trentaine. Avant, il y avait des rivalités entre les corps. Les gens sont arrivés de tout le pays avec leurs raclettes pour aider. Il n’y avait pas assez de travail pour tout le monde.
L’homme sous le casque prend-il parfois le pas sur le pompier?
Il faut être les deux. Le travail doit rester professionnel, mais il faut rester humain. On commence à vider les caves par le point le plus haut d’une rue vers le bas. Il faut pouvoir l’expliquer aux gens désœuvrés. J’ai un avantage, je suis natif d’Echternach et beaucoup de monde me connaît. Nous avons veillé à faire des équipes avec un homme d’ici pour faciliter les contacts. Un couple de personnes âgées nous a demandé d’aller nourrir leur chat et leur chien parce qu’ils n’arrivaient plus à accéder à leur domicile. Nous l’avons fait.
En 1834, l’eau était montée jusqu’au lycée et on ne parlait pas encore du climat
Un de vos hommes a-t-il personnellement été touché par les inondations?
Deux. Je les ai dispensés de service pour qu’ils puissent protéger leurs familles et leurs biens. Il n’y a pas eu de favoritisme, nous ne les avons pas aidés en priorité. Ils n’ont pas eu trop de dommages, car ils connaissent les procédures à suivre et ont été aidés par des amis.
Ce genre de grandes inondations devrait devenir de plus en plus fréquent en raison de la crise climatique. Comment se protéger?
En 1834, l’eau était montée jusqu’au lycée et en 1834, personne n’avait de voiture et il y avait moins de constructions. On a déjà connu des inondations plus impressionnantes par le passé. J’ai dû mal à croire que celles-ci sont dues au changement climatique.
Pour éviter que la situation ne se reproduise, il faudrait surélever les berges. La Sûre est une rivière frontière. Si nous le faisons, nous devons compenser le flux d’eau qui va en Allemagne. Il faut donc trouver un endroit où élargir le lit. Ce serait l’unique solution possible couplée aux pompes. Dix ou quinze centimètres d’eau en moins et la Sûre ne serait pas sortie de son lit.
Il faut repenser la construction des bâtiments et fixer les cuves à mazout. Aujourd’hui, ce n’est plus obligatoire. Avec l’eau, elles se soulèvent et versent.
Un commandant des pompiers de Luxembourg m’a raconté que les accidents et catastrophes donnent envie aux gens de s’engager. Vous en êtes un exemple. Avez-vous eu des demandes ces derniers jours?
Oui, j’ai eu deux demandes. Nous sommes le centre qui a le plus de demandes pour du volontariat ou pour se professionnaliser. Il y a une bonne ambiance. Jeudi soir, nous organisons un barbecue pour remercier les pompiers volontaires de leur engagement. Les inondations ont permis de mettre notre travail en avant et de montrer que les pompiers sont toujours aimés par la population.
Entretien avec Sophie Kieffer
‘Il n’y a rien a faire’