De la friche industrielle Rout Lëns va sortir de terre un quartier écoresponsable de sa conception à la qualité de vie qu’il propose à deux pas du centre-ville de la Métropole du fer.
Rout Lëns : l’entrée du site de 10,5 hectares s’affiche en grand et en couleurs sur l’arche d’un pont enjambant la rue d’Audun à Esch-sur-Alzette. Pour y pénétrer, de bonnes chaussures sont obligatoires. Comme au début de la reconversion des friches de Belval, les quelques vestiges encore debout sont balayés par le sable et envahis par la végétation. De frêles arbrisseaux s’échappent des tuiles du toit du magasin TT. La nuit, ils côtoient les chauves-souris qui y rejoignent leurs nichoirs. Bien que le site soit abandonné depuis 1977, la faune et la flore ont repeuplé ces lieux sur lequel l’humain a repris la main il y a un an pour y construire des logements. Environ 1 500 et 1 500 m2 de surfaces commerciales, le tout sur 160 000 m2 de surface construite brute.
Pour autant, pas question de tout raser pour tout bétonner. Ce n’est pas le genre du promoteur IKO Real Estate dont l’habitude est de «proposer des villes dont les modes de construction préservent notre écosystème et où la nature et l’humain retrouvent leur place». Voilà pour l’ADN du futur quartier! «L’environnement entre dans l’ensemble des composantes du futur quartier», certifie Sandra Huber, responsable du département Développement urbain chez IKO et chargée du projet. Ce qui en fait bien plus qu’un «simple» projet de réhabilitation de vieilles friches industrielles appartenant à ArcelorMittal.
«Il s’insère dans un environnement existant très varié entre les étangs, les paysages de canyon des anciennes mines, Belval ou le centre-ville d’Esch-sur-Alzette. Tout est à créer sur de superbes fondations avec de beaux bâtiments à intégrer, indique Sandra Huber. Le site a un vrai vécu, un potentiel, une histoire, comme tous les anciens sites au passé industriel. Il ne s’agit pas de le renier, mais de s’en servir pour rebondir dans une nouvelle époque.» Ainsi, quatre bâtiments et un portique en acier vont être conservés (lire ci-dessous), de même que des rambardes en acier et des vitres qui seront intégrés aux nouveaux bâtiments.
Critères environnementaux
Le but est double : marquer l’identité eschoise du quartier au fer rouge en réinterprétant les matériaux typiques de l’architecture industrielle «sans tomber dans la caricature» et s’inspirer de l’économie circulaire et du principe des circuits courts. Des principes observés jusque dans les pratiques de démolition. Arcelor a souhaité que l’évacuation des déchets ait lieu dans un périmètre limité. Les terres polluées par des hydrocarbures et des métaux lourds sont traitées à la décharge de Differdange. L’acier repart dans des fours à Esch-sur-Alzette ou à Differdange, les bétons sont concassés et réutilisés comme remblais ou sous-couche pour des voiries.
Dans le même esprit, il s’agit également de protéger la biodiversité qui s’est développée sur le site et de reproduire le patrimoine naturel local. «De nombreuses démarches ont été réalisées, notamment avec ArcelorMittal qui a proposé des terrains pour procéder à des compensations environnementales, explique la chargée du projet. Un certain nombre d’espèces comme des couleuvres, des lézards des murailles, des chauves-souris ont élu domicile ici. Les animaux sont capturés et relâchés ailleurs. Idem pour la flore. Une fois le site aménagé, nous offrirons des conditions d’accueil à de nouvelles populations en recréant des habitats.»
Le critère environnemental est une composante importante de ce projet, mais il s’accompagne également d’autres aspects «qui facilitent la transition vers un mode de vie plus écologique, note la jeune femme. Nous sommes là pour donner le petit coup de pouce vers le changement. Notre manière de fonctionner consiste à toujours être dans l’innovation et dans l’exemplarité, c’est notre marque de fabrique. Ce site nous permet d’expérimenter plein de choses. Certaines fonctionneront, certaines moins bien. Rout Lëns est un petit laboratoire d’innovation urbaine» pour toutes les parties prenantes du projet. «Nous menons une réflexion d’ensemble pour trouver le système le plus vertueux et comment sensibiliser les habitants aux problématiques écologiques», ajoute Sandra Huber. Et cette réflexion passe par les moyens d’avoir l’empreinte carbone la plus neutre possible, la gestion des déchets ménagers et celle des eaux usées, ainsi que l’importance des espaces extérieurs. 35 % de la surface du site est consacrée aux espaces verts. «Nous travaillons également à l’adaptation des végétaux au changement climatique, par exemple, en introduisant des espèces qui pourront s’y adapter», explique Sandra Huber.
Les idées fusent
Un autre axe de réflexion concerne la manière d’intégrer ce nouveau quartier Rout Lëns dans la ville d’Esch-sur-Alzette. L’allée de la culture industrielle qui traversera le site sera un pont vers l’extérieur. La piste cyclable nationale qui vient de Belval en sera un autre. La gare et le centre-ville sont à deux pas. L’aspect écologique affleure ici aussi. «Pas question de recréer un nouveau pôle commercial, mais d’alimenter l’existant et de le renforcer», indique la chargée de projet en faisant allusion au centre-ville. Le quartier sera doté de commerces de proximité et proposera la juste offre pour éviter des locaux vacants et générer de l’animation.» IKO veut créer du lien social et de la proximité. Presque une ambiance de village calme et apaisée par des poches de stationnement aux abords du quartier.
Les idées fusent. Résolument modernes, elles ne sont pas arrêtées. «Le projet évolue constamment. Il va se développer sur huit ou dix ans. Nous ne voulons pas définir de projet une fois pour toutes, mais nous allons l’adapter ou l’améliorer de manière continue, prévient Sandra Huber. Les gens changent, les mentalités évoluent, le projet doit être suffisamment souple pour évoluer avec tout cela.»
Rien n’est donc encore gravé dans la pierre, si ce n’est le type de logements proposés. Il s’agira essentiellement de logements collectifs (30 % de ces logements seront à coût modéré), dont certains présenteront les qualités de l’individuel. «On va retrouver des rez-de-chaussée en duplex avec un jardin privatif ou une entrée individualisée. Nous travaillons sur diverses formes d’habitat pour offrir de la diversité et correspondre aux attentes des futurs acquéreurs», souligne la chef de projet. Des attentes que l’épidémie de Covid-19 a fait évoluer. «Les gens ont un besoin de proximité avec la nature et d’espaces extérieurs», affirme Sandra Huber. Par conséquent, ses équipes et partenaires planchent sur «des solutions pour offrir un espace extérieur qui ne soit pas qu’un balcon, mais prolonge le logement et en fait partie. Cet espace peut être individuel ou collectif pour combler le besoin de lien social.»
Alors que les bulldozers achèvent la démolition des bâtiments qui ne seront pas conservés et qu’un bruit assourdissant règne sur le site, toutes ces réflexions sur la conception générale du quartier, des bâtiments aux services à la personne, restent à concrétiser. Ce projet-laboratoire se veut unique au Luxembourg, pays «qui a pris conscience des enjeux écologiques et a fait des avancées en la matière que l’on ne retrouve pas ailleurs», selon Sandra Huber. Dans cet environnement favorable, «tout l’enjeu pour IKO n’est pas de contraindre les gens à vivre d’une autre manière, c’est de les inciter et de leur permettre, s’ils le souhaitent, de vivre d’une autre manière». Le début de cette nouvelle vie est prévu pour 2024/2025.
Sophie Kieffer
Du neuf avec de l’ancien
Témoins du passé du site Rout Lëns, quatre bâtiments et un impressionnant portique en acier vont être conservés et intégrés à la vie du quartier. «Ces bâtiments vont avoir plusieurs vies. Il n’auront pas la même vocation au départ de notre réflexion et à la fin, annonce Sandra Huber. Pour avoir les types d’occupation auxquelles nous pensons, il faut avoir une certaine masse critique. Les bâtiments ne seront donc activés qu’au fur et à mesure.»
Le magasin TT, tout en briques rouges, va rester le lieu de la vie courante et des circuits courts sur le site. Il gardera son nom et sa fonction. Les habitants pourront y faire leurs courses ou s’y retrouver pour boire une bière brassée avec du houblon qui sera peut-être cultivé sur le site sous les portiques des Keeseminnen. Les turbines pourront être un lieu d’échange ou de coworking. Elles pourront aussi accueillir des projets artistiques. Les portiques serviront d’espace public ouvert à tous avec une programmation diverse tout au long de l’année. La halle des soufflantes, en raison de sa haute taille et de son beau volume, pourra être dédiée aux sports et aux loisirs urbains. Le petit poste d’aiguillage est envisagé comme une maison d’hôte à destination des habitants ou comme nichoir pour les oiseaux et les chauves-souris.