Son bureau, c’est… tout un quartier! Les mythiques Terres Rouges, la Hiehl, le creuset de générations d’immigrés. Romain Bast y distribue le courrier depuis 17 ans. Portrait.
On dit que le facteur «sonne toujours deux fois». Romain, c’est plutôt deux éclats de rires! Toujours une histoire à raconter, un truc sympa à dire. Son bureau? Les Terres Rouges d’Esch-sur-Alzette, depuis 17 ans. Un cadre à part, avec son atmosphère de film. Le quartier de la «Hiehl», la cavité en français. Des immeubles serrés comme des chocolats belges, l’odeur des grillades portugaises l’été, les vieux Italiens avec leur casquette de Gavroche, les ados de la Jeunesse coiffés comme des stars de foot… Les anciens disent que le quartier n’est plus comme avant, à l’époque où l’on descendait à l’usine à vélo. Les bagnoles lavées au car wash ont pris le dessus, des voitures presque aussi grosses que les maisons ouvrières. Peu importe : les Terres Rouges restent les Terres Rouges, immuables. Et le personnage emblématique du quartier, toujours dehors, qu’il pleuve ou qu’il vente, c’est Romain!
«On dit : « faire la tournée du facteur », mais ce ne sont pas des lignes droites aujourd’hui, commence-t-il. Nous sommes sept facteurs pour le centre d’Esch, nous marchons par secteur depuis le centre de tri, situé rue Zénon-Bernard.» Romain joue un rôle spécial. «J’ai moins de ménages à desservir, 550 contre 800 pour les collègues, mais je conduis la camionnette de ravitaillement.» En clair, Romain apporte les sacs de courriers aux autres facteurs. «Ils ne peuvent pas tout prendre dans le chariot. Plein, il pèse 80 kilos! Je ne vous dis pas, celui qui monte la rue des Charbons…» La Poste a mis en place des chariots électriques depuis quelques années. «Ça nous aide bien. Ils avaient essayé les vélos électriques aussi. Mais avec nos arrêts fréquents, les trottoirs, tout ça… ils n’ont pas tenu longtemps.»
«Il y a beaucoup de gens seuls»
De toute façon, Romain n’est pas du style à courir. «Ce que j’aime, c’est le contact humain. Il y a beaucoup de gens seuls, malgré tous les services auxquels ils ont le droit. Ils ne connaissent pas les démarches, ils voient rarement du monde. Moi, il me voit.»
Romain, c’est le bon camarade, le natif de Pétange, un gars du Sud : chaleureux, le verbe haut, jamais la langue dans sa poche. Au café Fortuna, comptoir des Terres Rouges, on ne regarde pas sa montre pour savoir quelle heure il est. On attend que Romain passe, vers 10 h, pour le premier apéro de la journée. «Les gens sont sympas, glisse Romain. Les jeunes facteurs connaissent moins cette ambiance, c’est dommage. Ils sont embauchés sous contrat privés, ils ne sont pas toujours bien payés…»
Romain est attaché à la jeune génération. Formateur, il leur décrit la réalité du métier, «avec des conditions parfois rudes mais le plaisir d’être au grand air». La journée commence à 6 h, avec le tri du gros courrier. «On charge les sacoches, la camionnette et hop, sur le terrain.» De 8 h à 13 h, c’est la tournée. «Quand je rentre, je fais souvent une sieste. Ça fait 33 ans que je me lève tous les jours à 4 h 30.» Même en vacances, sous le soleil des Canaries, «c’est une habitude, c’est comme ça!», lâche-t-il.
La pension, c’est dans trois ans. Romain y pense parfois. On l’imagine comme dans la chanson de Renaud : «Il a refermé la porte doucement / Pour pas réveiller « Maman »/ Sur le canapé près du chat / Il s’est assis dans un coin / La tête dans ses mains / Cinquante balais c’est pas vieux : qu’est-ce qu’il va faire de son bleu?» Son bleu de travail, son blouson d’ouvrier. Pour Romain, ça sera son «jaune», estampillé Post. Mais notre facteur a déjà d’autres idées que de rester sur un canapé. «Intégrer l’équipe féminine de beach-volley des Canaries?», interroge-t-il malin.
Hubert Gamelon
Deux ratés en 33 ans
Romain distribue le courrier depuis 33 ans à Esch-sur-Alzette (il a commencé en dehors des Terres Rouges). Durant toutes ces années, seules deux tournées ont été annulées! Du verglas trop tenace… «On est toujours sortis sinon, toujours», dit Romain en englobant ses collègues.