Avec la musique, pas besoin d’avoir les mots ou de parler la même langue pour exprimer ce que l’on ressent. C’est tout l’intérêt de la musicothérapie, proposée à des réfugiés dans le cadre du projet Mateneen.
Le centre d’accueil des primo-arrivants, route d’Arlon à Luxembourg, lundi soir. Au deuxième étage du tout nouveau bâtiment se font entendre des percussions. Dans une salle, les quatre membres d’une famille originaire d’Angola et du Brésil frappent en cadence sur des congas, entraînés par Olivier Mallach et Isabelle Chaussy.
Le petit garçon, en fauteuil, laisse ponctuellement échapper quelques sourires, tout comme sa maman, qui s’amuse d’un rien. Le papa est lui extatique, il faut dire qu’il est musicien et qu’il savoure tout particulièrement ce moment suspendu. L’adolescente, elle, est plus fermée, elle reste discrète, mais se montre disciplinée à l’exercice.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il ne s’agit pas là d’un bœuf, mais d’une thérapie familiale axée autour de la musique : c’est la musicothérapie. Car la musique, ce langage universel, libère, permet d’exprimer des émotions refoulées, de se connecter à soi et à l’autre sans passer par le verbal. Un véritable atout pour aider les réfugiés qui permet de dépasser les frontières, les cultures et la barrière de la langue.
En relation avec les psychologues de la Croix-Rouge
C’est pour cette raison que le projet Mateneen, soutenu par l’Œuvre nationale de secours Grande-Duchesse-Charlotte et les dons de mécènes, a vu le jour il y a cinq ans. Olivier Mallach et Isabelle Chaussy, musicothérapeutes, organisent depuis, dans ce centre-ci et dans d’autres dans le sud du pays, des séances familiales d’environ une heure.
Les familles sont envoyées auprès d’Olivier et Isabelle après discussions avec les psychologues de la Croix-Rouge, avec lesquels les musicothérapeutes travaillent étroitement.
«Cette thérapie répond à un besoin spécifique», explique Olivier Mallach. «La plupart du temps, on nous demande de voir s’il y a d’autres problématiques dans la dynamique de la famille ou concernant un membre en particulier par rapport à ce qui a été vu ou compris par les psychologues en amont, qui ne disposent que du verbal et n’ont parfois pas d’interprète pour les aider.»
Au-delà de la parole
Olivier poursuit : «Sans compter qu’il y a aussi des personnes très pudiques qui n’aiment pas s’exprimer. Le langage peut en effet être un problème parfois, tandis qu’avec la musique, il n’y a pas besoin de parler la même langue ou de trouver les mots justes, et le corps peut s’exprimer.»
La place que chacun va choisir dans la pièce, la façon dont ils vont s’asseoir, leur manière de participer, de s’engager, les instruments choisis… Sont-ils des meneurs ou des suiveurs? Introvertis ou extravertis? Osent-ils faire de l’improvisation? Tous ces aspects sont examinés par les thérapeutes, car révélateurs tant d’une personnalité que d’une dynamique familiale.
Structure familiale bouleversée
«Nous travaillons le plus souvent à la reconstruction de la famille : en général, un membre a tout quitté pour arriver ici. Au départ, ils imaginent qu’ils vont pouvoir tous se retrouver rapidement, mais en réalité la procédure est extrêmement longue», rappelle Olivier Mallach.
Mise à distance, colère… Les émotions sont intenses et s’entremêlent lorsque les membres sont à nouveau réunis, qui plus est dans un environnement inconnu : les enfants sont fâchés contre leur père parti si loin et si longtemps et n’admettent plus son autorité, les frères et sœurs plus âgés ont endossé des rôles d’adultes…
Il faut redéfinir les places dans cette structure familiale qui a été bouleversée et renouer les liens distendus, mais aussi, souvent, surmonter les traumatismes vécus dans le pays d’origine ou sur la route de l’exil.
Pas besoin d’être musicien
La façon de jouer, l’intensité, voire la brutalité, la dissonnance, la voix, les cris ou à l’inverse le silence sont aussi révélateurs des émotions que traversent les demandeurs de protection internationale (DPI) ou n’importe qui suivant une musicothérapie.
«Il n’y a pas du tout besoin d’être musicien pour suivre ce type de thérapie», précise Oliver Mallach. «Le tout est d’avoir un outil en main qui ne donne pas l’impression de devoir verbaliser. On commence donc par des choses simples : le rythme et la percussion sont ce qu’il y a de plus facile à aborder sans connaissances musicales. Il ne faut pas risquer de les mettre en situation d’échec non plus. Ce n’est pas un atelier de musique, il ne s’agit pas de leur apprendre à jouer.»
«Se connecter à ses émotions et les exprimer»
«Le but, c’est de s’apaiser, d’avoir un moment et un espace à soi. Surtout dans des centres où les gens n’ont pas du tout choisi leur voisin, leur cadre de vie, leur situation… On a des peuples en conflit dans leur pays d’origine qui se retrouvent réunis ici… L’autre but, c’est de se connecter à ses émotions et de les exprimer, pour pouvoir ensuite les dépasser.»
Car si une séance de musicothérapie permet d’évacuer le stress, elle peut aussi de raviver des souvenirs douloureux, trop difficiles à supporter. «C’est déjà arrivé et nous avons dû arrêter la musique…», confirme Isabelle Chaussy. «On travaille à deux, ainsi l’un de nous peut emmener la personne qui décompense dans une autre pièce pour un contact plus direct. Mais c’est aussi l’un des buts recherchés.»
Le centre n’est qu’un endroit de passage. Aussi, impossible de déterminer combien de séances devra suivre la famille. C’est une situation d’urgence, qui appelle chaque séance à trouver une forme de clôture au bout de l’heure convenue.
La grande sœur finit par sourire…
En quelques minutes à peine ce soir-là, le changement d’attitude est ainsi déjà perceptible : chacun finit par se laisser emporter par le rythme de l’autre, un sentiment d’unité finit par envahir la pièce.
Un bambin de deux ans environ, visiblement originaire d’Afrique du Nord, attiré par la musique, fait son entrée dans la salle. Sa démarche est maladroite – il marche à peine – et il ne parle pas encore, mais il finit pourtant par rejoindre la famille et jouer des percussions avec elle.
Il semble vouloir échanger avec le jeune garçon, lui tend les instruments, bat le djembé avec lui. Ils se comprennent au-delà des mots. La grande sœur aussi, en fin de compte, finit par sourire et articuler quelques mots, visiblement plus en confiance qu’au début de la séance. Les musicothérapeutes ont réussi.
Et quoi encore ? Des vacances 5 * aux seychelles? Min. 3 mois…