Devenir entrepreneur a parfois tout du parcours du combattant, d’autant plus pour les réfugiés. Mais une association est là pour les aider : Touchpoints.
Monter son entreprise n’est pas une affaire aisée, mais la tâche est d’autant plus ardue lorsqu’on est un réfugié. Entre les diplômes laissés au pays, l’absence d’équivalence entre les qualifications, les problèmes de maîtrise de la langue… Le parcours est véritablement semé d’embûches pour toutes ces personnes qui portent en plus pour la plupart de lourds bagages avec elles.
Mais l’association Touchpoints est là pour les aider, en leur proposant formations et accompagnement. Ils sont déjà plus de 500 réfugiés à avoir franchi le seuil de l’ASBL depuis 2016, année de sa création. Certains pour de simples renseignements, d’autres se sont accrochés et sont parvenus à créer une entreprise dans leur pays d’accueil, le Luxembourg.
C’est après s’être rendue dans différents camps de réfugiés (à Calais, à Thessalonique, sur l‘île de Chios ainsi qu’en Serbie), que Fabienne Colling, jusque-là à la tête d’une agence de communication, a décidé de créer l’ASBL Touchpoints. «Ces différentes expériences m’ont complètement changée et ont totalement transformé ma vie. Elles ont fait éclater ma bulle. Toute cette détresse humaine et cette injustice d’un système très protecteur de lui-même m’ont poussée à faire quelque chose.»
De retour au Luxembourg, Fabienne Colling refuse donc de rester les bras croisés et veut coûte que coûte aider les réfugiés. Au Grand-Duché, l’aide aux réfugiés s’articule essentiellement autour de deux grandes thématiques : le logement et le travail. Elle choisit la seconde. «Je ne me voyais pas traiter de la question du logement, et puis je me suis rendu compte que rien n’était proposé en termes de micro-entrepreneuriat pour les personnes dans des situations vulnérables. J’ai donc eu un échange très fructueux avec la Chambre de commerce, qui a permis de faire naître le programme de formation pour les futurs entrepreneurs : Sleeves Up.» Grâce à l’appel mateneen (le plus grand appel initié par l’Œuvre de la Grande-Duchesse-Charlotte, qui a soutenu plus de 120 projets venant en aide aux réfugiés), Fabienne Colling fonde alors son ASBL, Touchpoints.
Le graal : un compte bancaire
Lorsqu’un réfugié leur fait part de son projet, les collaborateurs de l’association, au nombre de quatre, procèdent en premier lieu à «une évaluation individuelle» : «Nous voulons comprendre dans quelle situation il se trouve. C’est très important pour nous de savoir quel impact la création d’entreprise peut avoir sur la situation familiale, financière, psychologique aussi.»
Les plus motivés peuvent ensuite suivre une formation d’une semaine qui leur présente les différentes étapes administratives auxquelles ils devront se soumettre. S’ensuivra l’élaboration d’un business plan («simplifié et didactique»), et d’un accompagnement individuel d’une quarantaine d’heures étalées sur plusieurs mois.
Car le processus est long avant d’aboutir : environ un an et demi en moyenne. Et le parcours, parsemé d’obstacles. Si la fondatrice de Touchpoints constate une amélioration concernant l’octroi du permis de travail, l’ouverture d’un compte bancaire professionnel et l‘obtention d’un prêt restent des difficultés majeures pour les réfugiés. «Obtenir un prêt pour lancer son entreprise est difficile pour tout le monde, mais c’est impossible pour les réfugiés. Aucun réfugié n’obtient un prêt d’une banque traditionnelle au Luxembourg, sauf s’il réussit à avoir un investisseur possédant de l’immobilier par exemple.» Microlux est en effet la seule institution du pays à octroyer des microcrédits aux entrepreneurs qui n’ont pas accès au crédit bancaire traditionnel.
En outre, si le droit européen oblige les banques à fournir un compte bancaire à tous les résidents – «généralement c’est la Post qui s’en charge ici», rappelle Fabienne Colling –, rien ne les oblige par contre à permettre l’ouverture d’un deuxième compte. «Cela n’empêche pas d’ouvrir son entreprise, mais cela complique beaucoup les choses. Nous avons par exemple un bénéficiaire qui gagne 30 000 euros cash tous les mois avec son épicerie, mais qui ne possède pas de compte pour les déposer! C’est loin d’être anecdotique!»
En attendant que la situation évolue, l’ASBL et ses bénéficiaires doivent tenter de parer à cette problématique. «Rien n’oblige les banques à entrer en relation, mais nous essayons de discuter, de fournir des documents et de communiquer positivement. Nous informons aussi les réfugiés d’entrer très tôt en relation avec une autre banque que la Post pour qu’elle apprenne à les connaître. Lorsque le Luxembourg verrouille ses lois sur le blanchiment pour faire figure de bon élève, c’est à la base que ça se resserre et ce sont les petits qui trinquent, réfugiés ou étrangers.»
L’artisanat, secteur fermé
Entre le labyrinthe administratif et le manque de moyens financiers, nombreux sont ceux qui finissent par abandonner leur rêve. Parfois même, celui-ci s’avère quasiment inaccessible du seul fait qu’il relève de l’artisanat. Secteur très protégé au Luxembourg, l’artisanat demeure en effet difficile d’accès pour les réfugiés, même si Touchpoints peut se féliciter de quelques victoires, à l’instar de celle de Hassan Almamuri qui, après un long processus, est parvenu à ouvrir son salon de coiffure pour hommes, le Prince coiffure, à Bonnevoie.
«De plus en plus de personnes peuvent démarrer une activité dans l’artisanat, notamment dans la coiffure», se réjouit Fabienne Colling, qui explique : «C’est un secteur très fermé car il faut disposer d’une maîtrise reconnue et justifier d’une expérience. Mais les réfugiés qui ont dû quitter leur pays du jour au lendemain n’ont pas leurs diplômes avec eux ou pas de preuves formalisées comme ici. Les autorisations dépendent donc parfois de notre créativité et du bon-vouloir des administrations.»
La plupart des bénéficiaires de Touchpoints sont des hommes. «Il y a 30 % de femmes dans les formations, et 10 à 20 % d’entre elles créent une activité, souvent dans le secteur associatif, autour de l’interculturalité», indique la fondatrice. Une sous-représentation qui s’explique par la faible représentation des femmes parmi les réfugiés d’une part (les réfugiés sont majoritairement des hommes sur le territoire luxembourgeois), mais aussi sans doute parce qu’elles s’occupent de la vie familiale.
La majorité de ces potentiels créateurs d’entreprises (60 %) ont entre 30 et 44 ans. Ils viennent pour la plupart du Proche et du Moyen-Orient : Syrie, Irak, Afghanistan, Iran… Plus occasionnellement d’Amérique latine ou de certains pays africains. «Ils ont généralement quitté une vie déjà bien construite dans leur pays d’origine. Et comme ils ne se retrouvent pas sur le marché du travail luxembourgeois, étaient déjà entrepreneurs ou jouissaient d’un statut social élevé dans le passé, ils préfèrent se tourner vers l’entrepreneuriat», explique Fabienne Colling. «Ici, ils se retrouvent au bas de l’échelle, sans réelles perspectives d‘évolution, sans réseau, sans les bonnes qualifications, sans les langues. Dans l’entrepreneuriat, ils ont l’impression d’être plus en contrôle et d’avoir plus de potentiel au niveau financier.»
Commerces, restauration, services à la personne tels que du jardinage ou du nettoyage : ils sont une soixantaine de réfugiés passés par Touchpoints à être actuellement à la tête d’une entreprise.
Statut de réfugié obligatoire
Seuls les bénéficiaires de la protection internationale peuvent créer leur entreprise : assimilés Luxembourgeois, ils disposent donc des mêmes droits. Les demandeurs d’asile, dont la procédure est encore en cours, peuvent toutefois s’associer, bien que cela n’aura aucun impact sur l’octroi ou non de leur titre. «C’est d’ailleurs bien dommage. Ces gens se donnent souvent beaucoup de mal, commente Fabienne Colling, la fondatrice de Touchpoints. Nous-mêmes, nous avons un collaborateur au sein de Touchpoints dont la procédure d’asile est toujours en cours depuis plus de trois ans…»
Une année 2020 chargée
La pandémie n’a pour l’instant pas freiné l’activité de Touchpoints, bien au contraire. «On s’attendait à une baisse d’activité totale, ce qui a été effectivement le cas de mars à mai. Par contre, nous avons été submergés de demandes en juin!», note Fabienne Colling, la fondatrice de l’association. «Je pense que beaucoup ont décidé de se lancer voyant que leurs chances de rejoindre le marché du travail s’étaient encore amenuisées. Nous avons donc finalement eu une année extraordinaire.» Touchpoints a enregistré pas moins de sept créations d’entreprise en 2020, ainsi que trois autres déjà depuis début 2021.
Tatiana Salvan