Les élus de la Ville de Luxembourg et le ministre Henri Kox rencontreront ce mercredi soir les habitants de la Gare et de Bonnevoie, à bout de nerfs face à l’insécurité galopante.
Comment réduire la criminalité dans le quartier Gare et avec quels moyens ? Les responsables politiques seront face aux habitants ce soir, lors d’une réunion publique organisée par la Ville au hall omnisports de la rue de Strasbourg, pour échanger sur la situation de plus en plus intenable et trancher en faveur ou non du gardiennage privé.
Des années que le problème perdure, que les responsables politiques ne parviennent ni à l’éradiquer ni à le contenir, que les réunions publiques avec les habitants s’enchaînent, en vain : l’insécurité dans le quartier Gare à Luxembourg et dans les rues environnantes n’a fait qu’empirer ces dernières années.
Déserté par de nombreux commerces et cafés, l’endroit est devenu le lieu de tous les trafics, la drogue en tête, avec la violence qui va avec, et plus seulement la nuit. Une situation qui désespère les riverains, aux premières loges de ce désolant spectacle, et qui en subissent chaque jour les conséquences.
Dans ce climat déjà tendu, l’incident survenu le 4 septembre, avenue de la Liberté, a mis le feu aux poudres : lors d’une altercation avec les agents de sécurité mandatés par la Ville de Luxembourg pour assurer la surveillance du secteur, un homme a été violemment mordu aux jambes par un chien de garde, non muselé, sans que son maître ne parvienne à le maîtriser.
Cette agression, filmée et postée sur les réseaux sociaux, a fait ressurgir la vive polémique suscitée par le choix de la bourgmestre, près d’un an plus tôt, de se tourner vers la solution du gardiennage privé pour tenter de maintenir l’ordre aux abords de la gare : la bourgmestre Lydie Polfer se disait démunie, alors qu’elle multipliait les demandes auprès du ministère de la Sécurité intérieure pour obtenir davantage de présence policière, sans l’appui attendu. Ce qui l’avait finalement poussée à signer un premier contrat avec la société GDL en décembre 2020 et ce, sans l’avis du conseil communal. Ulcérée, l’opposition déi gréng-LSAP-déi Lénk s’était alors dressée contre cette mesure jugée inappropriée et coûteuse – 64 000 euros rien que pour les mois de décembre et janvier.
Trois mois plus tard, fin mars, la plupart des habitants s’étaient dit favorables à cette solution, faute de mieux, dans un sondage, et la Ville décidait logiquement de poursuivre sur cette voie, en s’engageant six mois de plus, avec la société G4S cette fois, à la suite d’un appel d’offres. Du 15 mai au 15 novembre derniers, les agents de G4S ont donc assuré des patrouilles à pied à Bonnevoie et à la Gare, officiellement pour «protéger le mobilier urbain communal».
Le «plan visibilité» a-t-il tenu ses promesses ?
Si certains habitants n’ont pas vraiment relevé de changement au niveau sécurité, d’autres ont salué l’initiative de la bourgmestre, n’hésitant pas à fustiger ses adversaires politiques, les mêmes qui ne mettent jamais les pieds dans leur quartier, selon eux.
Au lendemain de l’agression du 4 septembre, la bourgmestre avait, de nouveau, martelé sa volonté de répondre avant tout aux préoccupations de ses administrés, et annoncé la tenue d’une prochaine réunion publique pour recueillir leur avis.
Entretemps, à la fin du mois de septembre, le ministre de la Sécurité intérieure, Henri Kox, a instauré un «plan visibilité», compromis entre pénurie de policiers et besoin accru de présence sur le terrain, avec l’idée d’organiser les patrouilles de telle sorte que, sans effectif supplémentaire, l’uniforme soit davantage visible dans les quartiers «chauds» de la capitale, en attendant des renforts au printemps prochain.
Comme prévu, le 15 novembre, le contrat avec G4S a pris fin mais l’échevin Serge Wilmes (CSV) a indiqué dans la foulée que la Ville de Luxembourg n’exclut pas de faire de nouveau appel aux services d’une société privée.
Alors, deux mois après la mise en place du nouveau fonctionnement de la police, les riverains constatent-ils de réelles améliorations et si oui, estiment-ils que c’est suffisant pour stopper le recours au gardiennage privé ? Ils auront tout le loisir de s’exprimer ce soir face aux élus et au ministre. La Ville a d’ores et déjà indiqué qu’elle baserait sa décision à venir sur l’avis des citoyens.
Christelle Brucker
Un bras de fer politique
Les alliances politiques au niveau communal étant bien différentes au niveau national, le dossier brûlant du gardiennage privé dans la capitale a vite tourné au bras de fer ces derniers mois, alors que des ministres issus des partis d’opposition au conseil communal (LSAP et déi gréng) ont été pointés du doigt par la majorité DP-CSV de la Ville. Et inversement.
Ainsi, dès l’annonce du contrat avec GDL fin 2020, les conseillers d’opposition déi Lénk-LSAP-déi gréng se liguent contre une mesure jugée contraire à l’État de droit, et en mai, déi Lénk finit par introduire deux recours auprès du tribunal administratif et attaque la ministre de l’Intérieur, Taina Bofferding, sur son inaction malgré des demandes répétées.
L’agression du 4 septembre n’a fait qu’accentuer les tensions : Lydie Polfer s’étonne que l’agression suscite tant d’émoi dans la classe politique quand ce genre de fait est quotidien dans le quartier Gare, et prie les responsables au gouvernement de prendre enfin conscience de la réalité du terrain.
En dénonçant le manque de réactivité et d’implication des autorités judiciaires dans la lutte antidrogue, elle vise la ministre Sam Tanson, son ex-partenaire de coalition. Le torchon brûle : la ministre verte estime que la décision de la Ville de recourir au gardiennage privé est douteuse et demande la copie du contrat et tous les rapports d’incidents, quand son collègue à la Sécurité intérieure, le ministre Henri Kox, rappelle à la bourgmestre que l’usage de la force sur la voie publique revient exclusivement à la police et refuse de voir des agents privés devenir des policiers auxiliaires.
En attendant, les riverains, eux, attendent toujours des solutions pour enfin vivre un peu plus sereinement. Nul doute qu’ils sauront faire part de leur ras-le-bol aux responsables politiques présents ce soir.