Jamais le patrimoine n’a fait l’objet d’un programme national cohérent sur le long terme. Alors que les destructions évitables de bâtiments dignes d’intérêt se succèdent (église et tour Hadir à Differdange, faïencerie d’Echternach…), la fraction socialiste à la Chambre des députés a dévoilé, lundi, les contours d’une loi idéale et volontariste, faisant de la protection du patrimoine, bâti et enfoui, une compétence nationale et non plus communale.
Franz Fayot, porte-parole du LSAP sur les questions ayant trait à la culture, a présenté, lundi, ce qu’il proposera jeudi à la Chambre des députés, en réaction à l’interpellation du député libéral André Bauler. «Le patrimoine est le parent pauvre de la politique nationale», a-t-il déclaré en préambule. Aujourd’hui, la liste des objets classés sur la liste des monuments nationaux ou sur l’inventaire supplémentaire comporte environ 1 050 éléments. «Cela correspond à 0,7 % de la totalité des bâtiments du pays. Ce taux est de 2,8 % en Allemagne et de 2,5 % en France. Nous sommes véritablement en retard», a affirmé le député, qui estime qu’une protection devrait toucher pas moins 5 000 immeubles.
Une des causes de cette carence est la vétusté de l’appareil juridique. «La loi est obsolète, comporte des lacunes importantes et manque de cohérence», assène Franz Fayot. Il y manque notamment un élément décisif : une définition correcte de ce qu’est le patrimoine. «Pour l’instant, on ne protège que ce qui est « joli », or c’est extrêmement subjectif et peu pertinent. Ce que représentent les objets est plus importent que leur esthétisme.»
Une administration à restructurer
Pour les socialistes, il est donc nécessaire d’élargir le concept de patrimoine pour qu’il englobe non seulement le bâti, mais aussi les vestiges archéologiques, le mobilier et même le patrimoine immatériel, à l’image de ce que fait déjà l’Unesco. Pour définir ce qui doit être listé, ils proposent seize critères qui vont de l’authenticité à la rareté, en passant par la période de construction, à son histoire sociale, technique ou industrielle ou encore à son appartenance à l’histoire locale. Un plan national, révisé tous les cinq ans, fixerait les missions prioritaires : «la protection, la recherche et la sensibilisation».
Mais il n’y a pas que la définition qui pèche, il y a aussi l’organisation générale des services de l’État sur la question. «Il y a toute une administration à restructurer, avance Franz Fayot. La coordination entre le service des Sites et Monuments historiques, le Centre national de la recherche archéologique et le musée national d’Histoire et d’Art ne fonctionne pas bien puisque leurs rôles ne sont pas bien définis.» Pour résoudre cette question, le LSAP propose la création d’une nouvelle administration du patrimoine qui chapeauterait l’ensemble. Cela tombe bien, c’est justement le sens du projet de loi que s’apprête à présenter la ministre de la Culture, Maggy Nagel (DP).
Pour remédier aux manquements actuels, les socialistes prônent une responsabilisation de l’État. «Depuis la loi de 2004 sur l’aménagement communal, les communes doivent indiquer sur leurs plans d’aménagements généraux (PAG) les bâtiments nécessitant une protection», explique Franz Fayot. Selon lui, c’est une méthode à bannir puisque «chaque commune a des critères différents», ce qui confère à l’ensemble un aspect nécessairement hétéroclite sur le plan national.
Ce n’est pourtant pas le plus grand risque : «Le fait qu’une commune décide de classer – ou non – un bâtiment sur son territoire peut mener à des conflits d’intérêts avec des propriétaires ou des promoteurs. Quand des millions d’euros sont en jeu, certains pourraient être tentés de laisser de côté l’aspect patrimonial.» La corruption alors, peut-être toute proche. Sans compter que quelques bourgmestres, peu sensibilisés à ces problématiques, à l’image de Gilles Roth à Mamer, pourraient traiter le problème avec désintérêt et mépris.
«De toute façon, et c’est ce qu’ont notamment révélé les Assises du patrimoine qui ont eu lieu l’an dernier, les communes ne sont pas outillées pour déterminer ce qu’il est nécessaire de protéger. Elles sont souvent mal à l’aise avec cette question», assure Franz Fayot. Et celles qui s’en préoccupent ne le font toujours pas avec bonheur même si, au départ, les intentions ne sont pas mauvaises : «Les ensembles sensibles à Luxembourg ne sont pas une réponse adaptée car il ne s’agit que d’une question de protection de l’urbanisme, de façade, et pas véritablement d’une protection réelle du patrimoine pour ce qu’il est.»
Bref, le chantier est vaste et compliqué. «Les questions du patrimoine sont souvent difficiles parce qu’elles mêlent l’intérêt du pays et les intérêts privés», reconnaît Franz Fayot. Mais un pays riche de son passé, comme l’est le Luxembourg, ne peut se faire l’économie d’une réflexion moderne sur la question. Si les Luxembourgeois veulent rester ce qu’ils sont, il faut d’abord qu’ils apprennent à mieux se connaître.
Erwan Nonet