Popeye écume les terrains de foot depuis vingt ans. Il est l’homme du vestiaire et des barbecues de la Jeunesse Esch. Rencontre avec le vieux loup de mer des Terres rouges.
Popeye n’est pas le capitaine du club de foot d’Esch-sur-Alzette,mais un matelot indispensable pour que le bateau avance.
Au stade de la Frontière, tout le monde l’appelle Popeye. À vrai dire, le bonhomme ressemble plutôt au capitaine Haddock. Barbe fournie, casquette jetée sur des cheveux en bataille, une éternelle pipe à la bouche : marins d’eau douce, faites place, voici le vieux briscard de la Jeunesse Esch! Ça fait vingt ans que Popeye traîne sa carcasse le long des terrains du club. Entretien des vestiaires, préparation des rencontres entre équipes de jeunes, photo d’avant-match, buvette et barbecue surtout… Popeye est partout.
Rien ne prédestinait le natif de Vianden à s’implanter aux Terres rouges. « C’est le travail qui m’a amené là. J’étais garde forestier au départ. Je suis arrivé à Esch-sur-Alzette en 1995, j’ai longtemps travaillé à la Waldschoul .» L’école pédagogique se situe en forêt, à quelques encablures des terrains de la Jeunesse Esch. Popeye est tombé amoureux du maillot noir et blanc un 1er mai, jour de la fête du Travail, donc de la fête du club ouvrier. « À l’époque, elle réunissait 400 personnes, se souvient le vieux loup de mer. Aujourd’hui, on s’amuse encore, mais ce n’est plus pareil. »
L’âme et le cœur d’un club
Popeye n’explique jamais ce qu’il pense. Il parle comme il fume : ses propos se perdent dans l’odeur du tabac hollandais. Il faut deviner, lire dans son regard, prendre le temps de l’écouter, le monsieur est plein de pudeur. Quoi qu’il en soit, il aime son club et il l’aimera toujours. « Je travaille au terrain sept jours sur sept. Il faut que les vestiaires soient propres, que les jeunes puissent s’entraîner et vivre le foot à fond. » Il faut qu’il soit là pour laver leurs shorts, leurs godasses, « ou même leur donner un maillot. Ça arrive aux plus grands d’oublier l’équipement. »
Une vitrine témoigne de l’affection qu’il reçoit en retour. Beaucoup de lettres écrites par les enfants, avec la même application qu’une lettre au père Noël. Ils n’ont rien à demander, juste à remercier. Des mots signés par les responsables du club aussi, jusqu’au président. Des cadeaux bariolés de noir et blanc : une tasse de la Juventus de Turin, des écharpes de supporters, des médailles et des coupes… autant de souvenirs entassés dans un joyeux fatras, comme s’il s’agissait d’un butin de pirate.
«Mon plus beau souvenir restera le 28 e titre remporté en 2009 », lance-t-il fièrement. Le barbecue avait dû chauffer comme un haut fourneau ce soir-là! Mais Popeye accorde la même importance aux exploits des plus petits. C’est lui qui joue le photographe reporter quand une équipe de jeunes soulève un trophée. « Les juniors (18 ans) vont mal cette année , peste-t-il. Aucun match gagné! » Une prestation qui l’attriste sincèrement, lui qui voit le foot comme une école de la vie.
Popeye a entraîné les plus petits, mais il laisse désormais ce job aux formateurs diplômés. Sur son CV de sportif, il n’a rien d’autre à offrir qu’un cœur et une âme. « J’ai quand même joué trois ans en défenseur à Amsterdam », sourit-il. Il y a vécu quand il voyageait, « avant ». Il n’a jamais été marin, même dans le port chanté par Brel, contrairement aux apparences. Et la pipe alors? « J’ai commencé quand j’avais douze ans, lors d’un campement scout en Angleterre. » Ça conserve, visiblement.
Hubert Gamelon