Patrick Schumacher était fonctionnaire quand, il y a 20 ans, on lui a proposé de reprendre l’entreprise de pompes funèbres de son beau-père à Esch-sur-Alzette. « Croque-mort », une profession méconnue et a priori peu engageante, mais qui demande beaucoup d’empathie et d’humanité.
L’entrepreneur de pompes funèbres est très fier d’avoir su reprendre cette affaire familiale : «Je n’aurais pas pris le risque de démarrer de zéro. Ce métier exige une certaine renommée. Quand une famille fait face à un décès, elle repense à l’entreprise qui s’est occupée du décès d’un autre proche. Les gens n’aiment pas faire d’expériences, surtout des mauvaises.»
Une grande partie du métier consiste en l’organisation des obsèques. «Il ne suffit plus seulement de vendre un cercueil. Nous nous chargeons de tout. Nous commandons les fleurs, la pierre tombale, l’annonce du décès dans les journaux… Il nous arrive aussi de nous occuper de toute la partie administrative, de l’acte de décès aux démarches auprès du notaire, pour les personnes âgées et isolées», poursuit Patrick Schumacher. «Il est important de prendre du temps, au calme, pour aider les familles à préparer les obsèques en fonction des dernières volontés du défunt. Nous n’avons pas droit à un deuxième essai pour améliorer notre prestation.»
Obsèques dans la nature
Dans le bassin minier, la tendance est à la crémation (75%). Dans le nord du pays, c’est l’inverse. Seules 30 à 40% des personnes souhaitent être incinérées. «Les gens y sont encore plus attachés à des obsèques traditionnelles. Beaucoup de personnes âgées ne parviennent pas à se familiariser avec l’idée même de la crémation», assure-t-il. Alors que celle-ci est plus écologique et économique.
Quant aux obsèques moins classiques, en mer ou dans un cimetière forestier, Patrick Schumacher dit n’en organiser que deux ou trois par an. Des cérémonies maritimes individuelles sont organisées. Les familles se dirigent en bateau vers un lieu au large d’Ostende. Cela dure trois quarts d’heure. L’urne contenant les cendres du défunt est glissée dans l’eau. Arrivée à une certaine profondeur, elle se dissout et les cendres sont libérées. Ce type de cérémonie reste rare.
Les obsèques dans des cimetières en forêt ont nettement plus de succès. «Il est dommage que toutes les communes n’aient pas de cimetière en forêt. Seules quelques communes qui en disposent acceptent les personnes décédées dans d’autres communes», assure Patrick Schumacher. «Ici, à Esch, les arbres sont numérotés. À chaque dispersion de cendres, on change d’arbre. Une plaquette avec le nom du défunt est apposée sur l’arbre au pied duquel les cendres ont été dispersées.»
Coûts à géométrie variable
Le temps des enterrements en grande pompe est révolu. La mode n’est plus aux cérémonies coûteuses et démonstratives. Les citoyens préfèrent investir leur argent ailleurs que dans des caveaux ou des cercueils luxueux. En général, les familles choisissent une tombe standard. Mais les sommes investies vont souvent de pair avec l’affect lié au défunt. «Une famille qui perd un enfant va vouloir une jolie tombe. Les familles s’y rendent souvent, c’est un point de repère pour elles.»
En moyenne, les familles investissent dans des cercueils correspondant à la somme remboursée par la Caisse nationale de santé, soit 1 058 euros. «Ici, dans le sud du pays, il est rare de vendre des cercueils très onéreux», indique-t-il. Quant à connaître le prix moyen à prévoir pour une inhumation, Patrick Schumacher répond qu’il est difficile à estimer, en raison des taxes communales. En effet, une concession sur 30 ans coûte 600 euros pour une tombe simple et 1 200 euros pour une tombe double à Luxembourg, et respectivement 250 et 500 euros à Esch-sur-Alzette, qui pratique des prix plus «sociaux». Ces concessions peuvent être renouvelées à la condition de reverser ces sommes, étant donné que les communes «louent» une partie de leur territoire aux défunts.
Autre différence de tarification qui varie en fonction des communes : le prix de la morgue. A Esch-sur-Alzette, un entrepreneur de pompes funèbres paye 15 euros par jour pour déposer un corps avant les obsèques. À Luxembourg, le tarif est de 35 euros, selon Patrick Schumacher, qui trouve également dommage que les familles doivent payer 50 euros la demi-heure pour se recueillir auprès de leur proche décédé dans une «salle d’adieu». «La commune d’Esch-sur-Alzette ne facture pas ce service. Beaucoup de gens se plaignent de devoir payer pour se recueillir une dernière fois. C’est discriminant.»
Face à la détresse et la solitude
Une alternative aux morgues communales, les funérariums n’existant pas au Grand-Duché, est de garder le défunt à la maison. «C’est possible sur demande auprès du ministère de la Santé. C’est plutôt rare, même si cela fait partie de certaines traditions religieuses. Dans le temps, c’était plus courant. Les gens n’ont peut-être pas envie de passer la nuit dans une maison avec un mort…»
Se trouver en présence d’un corps privé de vie peut être une épreuve pour les proches des défunts mais également pour les aspirants «croque-morts». «Nous habituons tout doucement nos nouveaux collaborateurs à la mort. Nous ne les emmenons pas sur les lieux d’un accident, sinon ils ne reviendraient pas le lendemain. Les nouvelles recrues nous accompagnent en observation lors de cérémonies tant que le cercueil est fermé, puis lorsque nous venons enlever une dépouille. Certaines ont renoncé avant même d’avoir dû manipuler un corps. C’est tout à fait compréhensible», explique le commerçant.
L’entreprise Brandenburger a été fondée en 1898 par les frères Emering et exploitée sur trois générations avant d’être reprise, il y a 40 ans, par le beau-père de Patrick Schumacher. «Je suis heureux quand les familles me remercient pour le travail que nous avons effectué», note Patrick Schumacher. «Nous rendons service aux familles et nous sommes à leur écoute. C’est un travail très humain qui demande énormément d’empathie.» L’entrepreneur de pompes funèbres est régulièrement confronté à la détresse humaine sous différentes formes, de la solitude à la pauvreté en passant par la tristesse et le deuil.
Une profession complexe et complète pour laquelle il n’existe pas de formation au Luxembourg.
Sophie Kieffer